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Double-national, une autre façon d’être suisse

Berlin vient de modifier sa loi en matière d’étrangers pour permettre la multi-nationalité. La détention de plusieurs passeports devient de plus en plus fréquente. Un nouveau rapport à la patrie.

Plus besoin d’abandonner son passeport allemand pour en acquérir un autre. La nouvelle loi germanique en matière d’étrangers, reconnaissant la double-nationalité, est entrée en vigueur mardi 29 août.

Résultat: les citoyens allemands qui voudront se faire naturaliser dans un autre pays conserveront automatiquement leur passeport d’origine.

Sur les 140’000 allemands présents sur le sol suisse, certains pourraient ainsi saisir l’occasion pour acquérir le passeport à la croix blanche. Risque-t-on pour autant de voir déferler une vague de nouveaux Helvético-allemands?

«Il est difficile de savoir combien peuvent légitimement demander la nationalité suisse, répond-t-on à l’Office fédéral de la statistique. En outre, parmi ces derniers, combien se lanceront dans une démarche longue et fastidieuse?»

Réciproquement, les Suisses qui demandent la nationalité allemande pourront désormais conserver leur passeport d’origine, alors qu’ils devaient auparavant y renoncer. Deuxième destination derrière la France, pour les Suisses qui s’expatrient, l’Allemagne dénombre 72’000 Helvètes sur son sol. Pour autant, la nouvelle loi ne devrait pas avoir de grandes conséquences pour ces derniers.

Selon les chiffres de l’Organisation des Suisses à l’étranger (OSE), deux tiers d’entre eux possèdent déjà les deux passeports par filiation. Pour les autres, «acquérir la nationalité allemande peut leur permettre d’accéder à certaines professions, notamment les postes de fonctionnaire, et d’exercer leur droit politique, explique Sarin Mastantuomi, la responsable juridique de l’OSE.

Plus simplement, c’est également la possibilité de disposer de la même nationalité que son conjoint et de ses enfants, sans sacrifier sa propre origine.»

Jusqu’ici, l’Allemagne était l’un des derniers bastions de l’Union européenne, avec la Belgique notamment, à ne pas reconnaître la double-nationalité. Une exception dans un monde où les multinationaux deviennent la norme. Ils seraient entre 750’000 et un million en Suisse, contre moins de 500’000 il y a à peine sept ans, en 2000.

Des données à considérer avec précaution. «Il n’y a pas de chiffres précis sur les double-nationaux, car à partir du moment où les personnes acquièrent la nationalité suisse, elles sont comptabilisées dans la statistique des Helvètes, indépendamment de leur autre nationalité, explique-t-on à l’Office fédérale de la statistique. Le seul moment où ils sont chiffrés précisément, c’est lors des recensements.»

Le dernier remonte à 2000 et le prochain n’est pas prévu avant… 2011.

Néanmoins, selon une étude du Panel suisse des ménages (projet commun du Fonds national suisse de la recherche scientifique, de l’Office fédéral suisse de la statistique et de l’Université de Neuchâtel), fin 1999, la proportion de doubles nationaux s’élevait à 7,8% (+ou -1%), chez les résidents de 14 ans et plus.

En 2005, elle a atteint 11,6% (+ ou -1%), soit une augmentation comprise entre 20 et 50% en six ans. «Il y a une tendance à l’augmentation des double nationaux, confirme le Professeur Boris Wernli, directeur suppléant du panel Suisse des ménages. Mais elle est difficilement quantifiable en raison de la marge d’erreur propre à ce type de statistiques.»

Cette augmentation résulte de plusieurs phénomènes. «La première explication vient du fait que de plus en plus de pays acceptent la double-nationalité. La Suisse la reconnait depuis 1992, et c’est aujourd’hui au tour de l’Allemagne», rappelle Philippe Wanner, professeur au laboratoire de démographie et d’études familiales à Lausanne.

Par ailleurs, mondialisation oblige, l’augmentation des flux migratoires conduit à une multiplication des mariages mixtes. Résultat: les enfants acquièrent quasi automatiquement les nationalités respectives de leurs deux parents.

«La Suisse est, par tradition, un pays où les migrations sont très nombreuses. Il n’est donc pas étonnant que le nombre de multi nationaux y soit très important. Et cela va continuer d’augmenter», estime Philippe Wanner.

Plus que deux nationalités, il n’est plus rare de croiser des personnes qui en possèdent trois, quatre ou même davantage. Cilin Perera, directeur général de l’entreprise Language Direct basée à Bâle, est fier de ses quatre passeports: anglais, irlandais, australien et sri-lankais. «Ce sont toutes mes origines», explique-t-il.

Disposer d’autant de passeports n’est pas sans avantages. «C’est très intéressant pour les double-nationaux de pouvoir bénéficier des avantages d’un pays, tout en gardant la possibilité de rentrer dans un autre», dit Philippe Wanner. S’ils résident en France, les franco-suisses peuvent par exemple effectuer leurs obligations militaires dans l’armée tricolore, soit un petit jour de services…

Autre avantage: passer les barrières douanières. «Lorsque je suis en Australie ou aux Etats-Unis, j’utilise mon passeport australien. En Europe, j’utilise l’irlandais. Bref, j’adapte en fonction du pays dans lequel je me rend», raconte Cilin Perera.

Peut-on pour autant se sentir appartenir à autant de pays? «Pas en même temps, répond Cilin Perera. Quand je suis en Angleterre, je me sens anglais, quand je suis en Australie, je me sens australien. Et, en ce moment, je me sens Suisse.» Jusqu’à demander un passeport à croix blanche? «Cela ne fait que six ans que j’habite ici, donc ce n’est pas possible pour l’instant. Mais pourquoi pas d’ici quelques années?»