Le rachat de Henniez par Nestlé accentue l’emprise des grands groupes sur le marché suisse des eaux minérales. Dans un secteur en forte croissance, seuls quelques producteurs régionaux parviennent à conserver leur indépendance.
«En l’espace de dix ans, le prix de l’eau minérale a été divisé par trois dans les grandes surfaces.» Si, au restaurant, le prix de l’eau ne cesse d’augmenter, Konrad Studerus, secrétaire général de l’Association suisse des sources d’eaux minérales et des producteurs de soft drinks, observe l’inverse dans les magasins. Autrement dit, la pression exercée par les distributeurs — Migros, Coop et Denner en tête, qui totalisent plus de 85% des ventes — est devenue si forte que les producteurs de taille moyenne peinent à survivre.
C’est la raison pour laquelle, depuis quelques années, les grands groupes avalent un à un les producteurs traditionnels: Arkina et Rhäzunser sont aujourd’hui détenues par Carlsberg (via le brasseur argovien Feldschlösschen, racheté en 2000 par le groupe danois), alors que Valser appartient depuis 2002 à Coca-Cola.
Dernière victime en date, après 102 ans d’indépendance, l’emblématique Henniez s’est vendue à Nestlé en septembre dernier, pour 155 millions de francs. «Nous n’avions pas la force suffisante pour rester indépendants, a commenté Nicolas Rouge, président du conseil d’administration de Henniez. Il faut se rendre compte de l’évolution du secteur, qui voit une concentration totale dans le marché de la distribution.»
Avec 32% de parts de marché en Suisse, le nouveau géant de l’eau minérale s’appelle Nestlé. Déjà propriétaire de Perrier, San Pellegrino, Vittel, Acqua Panna et Contrex — notamment –, la firme veveysanne se dote, grâce à Henniez, de la base industrielle qui lui faisait défaut sur sol helvétique.
«Il n’existe pas de statistique officielle, dit Konrad Studerus, mais l’on estime que Migros (Aproz) arrive en deuxième position avec environ 20% des ventes.» Suivent Coca-Cola (Valser) avec 14%, Carlsberg 14% (Arkina, Rhäzunser), Danone 11% (Evian, Volvic) et Eptinger 8% (Eptinger, Lostorf).
«La consolidation du marché s’explique par la prépondérance des coûts logistiques, explique Olivier Müller, analyste financier au Crédit Suisse. Pour les PME du secteur, l’intégration à des multinationales offre de nouveaux leviers de distribution qui facilitent l’accès aux clients. Par exemple, Valser peut profiter des distributeurs de boissons de Coca-Cola.» Les grands groupes font aussi bénéficier leurs marques d’une forte capacité à communiquer. Or, la publicité influence sensiblement les consommateurs d’eau minérale.
Ainsi, bien qu’une trentaine de producteurs coexistent en Suisse, seule une poignée de marques régionales parviennent à conserver leur indépendance. C’est notamment le cas de la glaronaise Elmer ou de l’Appenzelloise Gontenbad. Dans le lot, on trouve aussi la très élitiste Passuger (également propriétaire d’Allegra), dont la destinée tient carrément de l’exception: rachetée par Carlsberg en 2000, la PME grisonne a fait machine arrière en 2005, sous l’impulsion de son directeur Urs Schmid, qui a souhaité rendre à l’entreprise son autonomie d’artisan (la société compte, à ce jour, 23 employés).
«Nous visons clairement un marché de niche dans le haut de gamme, et nous travaillons plus que jamais sur cette image», explique Felicia Montalta, responsable communication chez Passuger, qui ajoute:
«Dans le giron de Carlsberg/Feldschlösschen, nous devenions une marque banale.» Revirement payant, si l’on en croit la responsable: «Depuis deux ans, nos ventes ont augmenté de 40% dans les Grisons. Nous sommes très bien implantés dans les grands restaurants et les hôtels de luxe, notre coeur de cible. Nous n’irons jamais chez Coop ou chez Migros…»
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Un marché mondial en forte croissance
Avec une consommation qui s’est élevée à 913 millions de litres en 2006 (127 litres par habitant et par an), les Suisses boivent deux fois plus d’eau minérale qu’en 1990. «Il existe aujourd’hui une relation très claire entre les préoccupations de santé et la consommation d’eau minérale, explique Henriette Moureau, porte-parole de Nestlé Waters. La recherche de santé, de bien-être et de plaisir dictent désormais les décisions d’achat.»
En Europe de l’Ouest, le marché arrive à maturité, avec une consommation moyenne de 113 litres par habitant et par an en 2006, contre 100 litres en 2001. Dans les autres régions du monde, la croissance est impressionnante: aux Etats-Unis, la consommation moyenne est ainsi passée de 62 litres par habitant et par an en 2001, à 94 litres en 2006 (+52%). En Europe de l’Est, la progression relative s’avère encore plus spectaculaire, avec 18 litres par habitant et par an en 2001, contre 32 litres en 2006 (+78%). Enfin, à l’échelle planétaire, dans le même intervalle, la consommation est passée de 18 à 27 litres par habitant et par an (+50%). Le chiffre d’affaire de Nestlé Waters, qui détient 19% du marché mondial, atteint 9,6 milliards de francs.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 22 novembre 2007
