CULTURE

Mirror Project, le site qui réfléchit

L’initiative de la Canadienne Heather Champ est née d’une passion pour les autoportraits. Son site rassemble des milliers de clichés originaux postés par les internautes. Addictif.

C’est un peu par hasard que Heather Champ est devenue l’hôtesse des internautes narcissiques. Sa passion pour les autoportraits date du début des années 1990. En classant quelques photos personnelles, cette jeune Canadienne s’aperçoit qu’elle a spontanément saisi de nombreux clichés d’elle-même dans un miroir, seule ou avec des amis. Elle décide alors de réunir ces images dans un album.

En 1999, devenue webdesigner à San Francisco, Heather commence à publier sa collection sur son site personnel, Jezebel.com. Intrigués par sa démarche, d’autres photographes lui font parvenir leurs propres «autoportraits dans le miroir». La collection s’agrandit. Heather songe à l’exploiter de manière professionnelle. Après un appel à l’aide lancé à la communauté web, un programmeur montréalais lui donne un coup de main et le Mirror Project est officiellement lancé.

On trouve aujourd’hui plus de 5000 clichés dans le Mirror Project et, chaque jour, de nouveaux internautes font parvenir leurs clichés à Heather Champ. Les correspondants se photographient sur toutes sortes de surfaces réfléchissantes: appareils électroménagers, vitrines, rétroviseurs, CD, lunettes, etc.

Les caméras numériques, devenues très accessibles en entrée de gamme, couplées à la gestion facilitée et automatisée des sites web, ont contribué à faire du Mirror Project un vrai succès populaire.

En moyenne, Heather reçoit une centaine d’images par semaine et consacre environ une heure par jour au projet. Mais pourquoi toujours des «autoportraits dans le miroir»? «Les gens se comportent différemment quand ils prennent une photo d’eux-mêmes, explique-t-elle. Ils ont moins tendance à sourire artificiellement. On a donc davantage l’impression de les découvrir tels qu’ils se voient eux-mêmes. De plus, ces images permettent de figer un moment dans le temps. En regardant chacun de mes autoportraits, je peux vous dire où j’étais et comment je me sentais à ce moment précis.»

Pour l’internaute, le jeu le plus amusant consiste évidemment à chercher un autoportrait parmi ses propres photographies et à le soumettre à Heather. Mais l’intérêt du Mirror Project va bien plus loin que ce simple plaisir narcissique. Les miroirs se transforment vite en fenêtres, et une visite sur le site permet d’observer en douce, en voyeur, plusieurs centaines d’univers personnels.

Certaines photos sortent du lot d’un point de vue artistique, alors que d’autres séduisent avant tout par l’histoire qu’elles racontent. Les visiteurs qui soumettent des clichés doivent joindre quelques commentaires, et c’est souvent là que l’image prend toute sa dimension. En lisant l’explication de telle photo prise dans une chambre d’hôtel, on apprend que la femme qui y apparaît a lutté toute la nuit contre l’insomnie, en attendant des nouvelles de sa fille gravement malade.

En utilisant le moteur de recherche du Mirror Project, on peut sélectionner des photos prises dans sa région. En introduisant «Switzerland», on trouve ainsi plusieurs clichés pris en Suisse, dont celui qui figure sur cette page.

Le miroir est une source classique d’inspiration pour les photographes, et le Mirror Project commence à acquérir le statut de musée. Pour sa section «galerie», Heather Champ a fait appel à des conservateurs invités qui sélectionnent une dizaine de photos selon un thème de leur choix comme l’enfance, la ville, etc. Tandis que la collection permanente, alimentée par les internautes du monde entier, s’enrichit de jour en jour.

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Une version de cet article de Largeur.com a été publiée le 7 avril 2002 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.

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