Vous aurez peut-être cueilli la nouvelle en lisant une brève ici ou là: samedi dernier, une manifestation monstre d’environ 1,5 million de personnes aurait réuni au centre de Budapest les vaincus du premier tour des élections législatives.
Diable! 1,5 million de personnes dans un pays qui compte 10 millions d’habitants, cela fait beaucoup. Surtout si l’on tient compte du fait qu’il s’agissait de partisans de Viktor Orban, le premier ministre sortant, qui a axé sa campagne sur le nationalisme le plus délirant – et des ultra-nationalistes du MIEP d’Istvan Csurka qui trouvent Orban trop mou.
Le bémol n’est venu que mardi. Des journalistes indépendants et une chaîne de télévision privée estiment qu’il n’y avait pas plus de 300’000 à 400.000 manifestants (ce qui reste colossal). Et, surtout, que l’armée et le ministère de la défense auraient fortement mis la main à la pâte. L’armée en service de manif commandé, il fallait y penser. Ils y ont pensé.
Au cours de ces derniers mois, Viktor Orban s’est fait remarquer par deux initiatives nationalistes intempestives. Pour commencer, il a semé le trouble chez ses voisins slovaques, serbes et roumains en accordant un traitement de faveur en Hongrie pour les minorités hongroises – parfois très importantes numériquement comme en Roumanie. Avantages visant bien sûr à favoriser l’irrédentisme de populations qui ont déjà par tradition de forts penchants nationalistes.
Puis en février, Viktor Orban a lâché une véritable bombe en proclamant l’euro-incompatibilité des décrets Benès (on appelle de ce nom une série de lois promulguées par le gouvernement tchécoslovaque au lendemain de la Deuxième guerre mondiale en rétorsion au comportement activement pronazi et antislave des populations allemandes et hongroises vivant dans le pays).
Ce faisant, Viktor Orban ravivait une plaie jamais vraiment fermée, celle des énormes transferts, et souvent des massacres de populations qui eurent lieu en Europe centrale après la guerre, quand il s’est agi de sanctionner la défaite de l’Allemagne et de ses alliés (la Hongrie).
De la Russie à l’Allemagne en passant par les pays baltes, la Pologne, la Hongrie, la Serbie, l’Ukraine et la Roumanie, tous les pays sont concernés par cette affaire. Un chiffre donne sa dimension. Quatorze millions d’Allemands furent alors chassés de leurs maisons en Europe orientale et jetés sur les routes, un baluchon à la main. Ils furent deux millions à mourir en chemin.
On estime à environ cinquante millions le total des déportés en Europe suite à la guerre. L’hebdo Der Spiegel publie ce mois-ci une vaste enquête en quatre volets sur ces déportations de masse. C’est la première fois qu’un journal de grande diffusion ose aborder ce sujet. Pour désamorcer les bombes que des boute-feu comme Viktor Orban ou Jörg Haider ne craignent pas de jeter, juste pour se faire des voix aux élections.
La droite et l’extrême-droite hongroises ont été battues à plate couture lors du premier tour des législatives le 7 avril. En principe, l’entente de la gauche et des libéraux (MSZP et SZDSZ) devrait l’emporter le dimanche 21 avril prochain. Les deux partis sont parvenus à passer des accords de désistements capables de contrer le report des voix d’extrême-droite (MIEP) sur les listes (Fidesz) du premier ministre sortant.
La Hongrie – déjà membre de l’OTAN – devrait entrer dans l’Union européenne par la grande porte, en compagnie de la Tchéquie. Mais cette chaude alerte nationaliste nous rappelle qu’en Europe centrale, treize ans après l’effondrement du système soviétique, les équilibres sont toujours instables.