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La France dans l’impasse

Jean-Marie Le Pen propulsé au second tour de la présidentielle française! Même si la nouvelle, au moment où j’écris, n’est pas officielle, elle est de taille. Depuis son entrée en politique au milieu des années 1950, Jean-Marie Le Pen n’a jamais caché ses goûts politiques. Il s’est toujours réclamé de l’extrême-droite européenne et de ses traditions fascistes, nazies, nationalistes, militaristes, antisémites, racistes et xénophobes.

Son succès à l’élection du 21 avril repose sur plusieurs facteurs. Comme je l’ai souvent souligné sur Largeur.com, une des raisons principales tient à la cohabitation, au gouvernement «formule magique» à la française, système qui regroupe au centre les tenants du pouvoir en les acoquinant mutuellement, lime leurs différences en multipliant le désespoir des prétérités, repousse dans les marges tous les mécontents. Que l’extrême-droite en arrive à recueillir 20% des voix et l’extrême-gauche plus de 15% en témoigne.

Deuxième élément important pour expliquer ce virage à droite, c’est le durcissement des rapports internationaux et la montée des extrêmes-droites nationalistes dans le monde. En Occident, il faut rappeler que le gouvernement américain formé par G.W. Bush (à la suite d’un hold-up électoral) est plus proche des positions de Le Pen que de celles de Chirac. C’est un facteur qu’en Europe nous ne soulignons pas suffisamment.

En Europe même, dans le sillage du succès de Haider, nous avons assisté à l’arrivée tonitruante du gouvernement Berlusconi en Italie et, en Europe de l’Est, à des avancées nationalistes inquiétantes. La Roumanie dont le système se rapproche de celui de la France a dû lors de sa dernière élection présidentielle faire barrage à Vadim Tudor, un Le Pen local. Au moment où j’écris ces lignes, on attend les résultats des élections hongroises qui se jouent elles aussi sur fond d’avancée nationaliste.

En Suisse enfin, l’UDC de Christoph Blocher ne cesse de progresser en surfant sur des thèmes fascisants (notamment la xénophobie et le corporatisme) qu’elle se fait un plaisir de cultiver tout en maintenant une certaine ambiguïté sur ses options.

Comme par ailleurs les gens qui sont allés fracasser les tours du World Trade Center ne sont pas précisément des gens de gauche, ni des démocrates, il faut prendre acte de l’avancée formidable de l’extrême droite politique en ce début de XXIe siècle. Une avancée qui représente une menace très sérieuse pour la démocratie car je me refuse à qualifier Bush, Haider, Berlusconi ou Le Pen de démocrates.

Que demain la défense de la vieille démocratie française repose sur les épaules d’un Chirac dont on ne connaît que trop les mensonges, les magouilles et l’aptitude à transgresser certaines lois n’est encourageant ni pour les Français ni pour la culture que nous partageons. Comment accepter sans rechigner que pendant deux semaines la voix de la France soit monopolisée par Chirac et Le Pen?

Cela dit, le problème de fond de nos sociétés démocratiques est celui de la réforme. Pendant le XIXe et le XXe siècle, les réformes fondamentales des grandes nations européennes ont toujours été provoquées par des guerres civiles ou étrangères et par des révolution. C’est ce qu’en parler romand on pourrait appeler «donner un coup de sac». L’Europe vit en paix depuis un demi-siècle. Les vicissitudes bureaucratiques, juridiques, fiscales s’accumulent sans qu’un pouvoir issu des urnes ait la capacité ou la volonté de réformer. Margaret Thatcher est l’exception qui confirme la règle.

Aujourd’hui, la France est dans une impasse. L’affrontement entre Le Pen et Chirac devrait conduire à la victoire de la droite parlementaire et démocratique, à condition que la gauche vote et appelle à voter pour elle. Il est à noter à ce sujet que Jospin, annonçant son retrait de la vie politique, n’a pas eu le courage élémentaire d’appeler à voter Chirac pour barrer la route au fascisme. Laguiller aussi s’est refusée à lancer cet appel. C’est de cette manière qu’en 1933 un certain Hitler est arrivé au pouvoir.

Mais aux législatives, c’est la gauche qui va profiter du durcissement de la fissure au sein de la droite. Ce qui va provoquer de très nombreuses élections triangulaires où la gauche, portée par un sursaut antifasciste, devrait triompher. Et donc provoquer une nouvelle cohabitation qui, elle, serait suicidaire pour la Ve République.