Si Le Pen dépasse les 30% au second tour de la présidentielle, ce qui est tout à fait possible, le visage de la France politique sera bouleversé. Et inédit.
Malgré l’amplitude, la responsabilité, la vivacité des mouvements populaires contre le score de Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle, le fond de l’air hexagonal reste toujours assez glaireux. Diverses raisons m’induisent au pessimisme et me font craindre une poussée encore plus forte du Front National dimanche prochain. Dans le désordre:
- Ce sont les jeunes qui font campagne, or ils n’ont pour eux que les bons sentiments. C’est beaucoup, mais cela ne remplace pas une carte d’électeur. La mobilisation réussie du 1er mai est la moindre des choses. Mais elle n’a pas été le fait de gens convaincus d’aller voter Chirac. Les réticences étaient palpables dans les interviews glanées au fil des défilés.
- Les partis politiques sont remarquablement absents de ce deuxième tour. Or le quadrillage du pays dépend d’eux. Si les militants ne font pas du porte à porte pour enlever des convictions et engager les gens à aller voter Chirac, l’abstention sera malgré tout massive, tant le discrédit moral du président sortant est grand.
- Le matraquage médiatique (surtout radiotélévisé) anti-Le Pen est d’une telle indécence et d’une telle bêtise qu’il ne peut qu’être contre-productif. On dirait que tous les larbins de la pensée unique se sont donné le mot pour diaboliser jusqu’à la nausée le chef du FN et ses électeurs. Ces journalistes-là administrent hélas, du haut de l’arrogance de leur inculture, la preuve qu’ils ont un porte-monnaie à la place du cerveau. Que Le Pen passe, vous les verrez virer leur cuti avec un sans-gêne et un sang-froid qui vous laisseront babas.
- Chirac ne fait pas campagne tant le résultat lui paraît acquis. Pis même, sans tenir compte des carences du premier tour, il n’a pas ajouté un mot de plus sur l’Europe, la mondialisation ou les grands problèmes internationaux. Médiocre comme toujours, incapable de prendre de la hauteur, il a le nez sur la carte électorale (comment gagner en juin?) et la main sur l’épaule de ses « amis » pour veiller à ne pas se faire doubler sur la droite et voir des pans entiers de son électorat vieille France basculer chez les nationalistes.
Conséquence de ce climat délétère, le scrutin de dimanche peut favoriser un peu plus Le Pen. Or s’il parvient à dépasser les 30%, ce qui paraît plausible, il devient absolument incontournable pour les élections législatives du mois de juin, celles qui vont renouveler le parlement. Comme il est difficilement envisageable que les socialistes se posent en candidats au pouvoir gouvernemental après le choc représenté par l’échec de Jospin, la droite devrait l’emporter.
Mais la droite parlementaire est justement, si l’on prend en considération le nombre de suffrages, celle qui a le plus souffert au premier tour: malgré la victoire de Chirac, elle a perdu 4 millions de voix alors que la gauche plurielle n’en a laissé que 1,5 million sur le carreau. Qui a l’impression que Chirac est en train de récupérer ces 4 millions de voix?
Le système majoritaire français à deux tours a cet avantage qu’il permet les accords les plus transparents comme les magouilles les plus obscures. Chirac doit aujourd’hui se trouver des alliés pour régner. Ces alliés devront lui permettre de faire élire le nombre de députés capable de lui assurer une majorité stable.
Si Le Pen ne fait pas une nouvelle percée, les socialistes peuvent lui faire de discrets cadeaux (en se retirant ici ou là) en échange d’un gouvernement clairement centriste dans le style Bayrou, Notat, voire même Raffarin ou Balladur. Mais que Le Pen avance encore très fort, c’est lui qui va dicter sa loi et décider, en raison des triangulaires du nombre de députés chiraquiens éligibles. Alors même Nicolas Sarkozy ne sera pas assez à droite, c’est Charles Million qui risque de se profiler comme candidat à Matignon.
Mais il y a plus. Fort des expériences déjà réalisées en Autriche et en Italie où chacun a pu constater que les extrémistes de droite n’ont pas encore mangé les petits enfants, Le Pen peut aussi exiger de participer au gouvernement en occupant certains postes ministériels. Ce serait du plus bel effet! Vous voyez Roger Holeindre, en ministre du Tourisme et la fille du Chef en ministre de la Culture…
