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Un shampoing contre Le Pen

Carine est arrivée comme une furie vendredi après-midi au Salon. «Alice, j’attendrai le temps qu’il faut, mais je ne veux plus être blonde! Je ne suis déjà pas fière d’être Française ces jours-ci, mais quand j’entends mon filleul me dire que je ressemble à Marine Le Pen, alors là je pète les plombs!»

Cela ne m’avait pas frappé jusqu’ici, mais c’est vrai qu’avec sa longue tignasse pâle, ses yeux bleus, sa taille de Walkyrie et son allure sportive, Carine avait incontestablement quelque chose de la fille cadette de Le Pen.

Deux heures plus tard, soulagée, les cheveux courts et auburn, Carine se sentait «enfin plus Marianne que Marine». Cette histoire peut paraître futile, mais il n’est pas inintéressant pour moi, coiffeuse aimant son métier, de constater qu’une bonne part de l’identification, à soi ou à l’autre, passe par les cheveux.

Voyez Chirac! Il a la même coupe que Berlusconi, qui a la même que Jacques Seguela. Ce sont des publicitaires. Voyez Lionel Jospin qui en perdant ses boucles semble avoir renoncé à ses idéaux de jeunesse. Voyez Chevènement qui persiste à se faire une raie de côté nette comme un sentier pédestre, telle que l’école de la République lui a appris à les dessiner!

Voyez Arlette Laguiller, fidèle à ses slogans, dont la coupe casque est restée inchangée depuis 1974, date de sa première participation à l’élection présidentielle!

Plus sérieusement, je ne compte plus les effets du 21 avril sur mes clientes et les conversations animées que la présence du leader de l’extrême droite au second tour a provoquées au salon.

Il est même une de mes clientes, Julia, 35 ans, double nationalité, qui a posé un ultimatum à son mari que je connais bien: «Si par malheur c’était Le Pen, je ne suis pas certaine que je pourrais encore vivre avec toi! J’ai honte de ton geste!»

-Comment? Arnaud a voté FN? Ce n’est pas possible, m’exclamai-je, ce n’est pas du tout son genre! Je l’entends depuis dix ans accabler la droite et l’extrême française…

-Il n’a pas voté Le Pen, il a voté Besancenot! Et pourquoi? Parce que Monsieur est un grand sentimental et qu’il avait envie de renouer avec son passé d’étudiant. Il avait l’impression de rajeunir de vingt ans en votant pour le facteur. Car Monsieur prend la démocratie pour de la DHEA! Un élixir de jeunesse! Et voilà commment Jospin a été évincé au profit de Le Pen. Je suis folle de rage!

-Julia, vous ne pouvez pas blâmer Arnaud d’avoir profité du choix qu’offre la démocratie…

-Alice, quelle naïveté! La multiplication des candidats n’a d’utilité que dans un système proportionnel. Ici, cela n’a eu qu’une seule conséquence: éparpiller les voix, affaiblir Jospin et fortifier Chirac. Pourquoi pensez-vous que Pasqua n’était pas au premier tour?

-Pas assez de signatures…

-Pensez-vous! Qui peut croire une seconde que Pasqua n’aurait pas réussi à obtenir 500 signatures alors qu’il a été ministre de l’Intérieur et qu’il a fait ami-ami avec une quantité de maires? Soyons sérieux. Je suis prête à parier qu’il s’est mis d’accord avec Chirac pour se retirer, en échange de quelque promesse… La politique, c’est pire que le Loft et le tiercé réunis.

-Juila, vous exagérez! D’accord avec vous pour dire que les voix des bobos données à l’extrême gauche avaient quelque chose de snob et de puéril, mais ne croyez-vous pas qu’Arnaud a été le premier à s’en mordre les doigts?

-Ça oui! Depuis le 21 avril, il pleurniche du matin au soir. Il m’énerve quand il croit pouvoir effacer sa faute en défilant tous les jours contre Le Pen. Vous comprenez, Alice, ce qui me met hors de moi, c’est que cette irresponsabilité, Arnaud la manifeste aussi dans notre couple. Il parle beaucoup mais ne fait rien; il attaque l’autorité des chefs mais refuse d’assumer la moindre responsabilité; il s’amuse de tout mais se montre incapable de rire de lui-même; il dénonce la société de consommation mais fait une crise quand il ne peut pas s’offrir le dernier téléphone portable; il croit que rien n’est grave mais reste pétrifié quand le réel lui explose à la figure…

-Stop Julia! C’est bon, j’ai compris. Vous ne le supportez plus, vous ne l’aimez plus. Quelque soit l’issue du second tour, vous avez déjà décidé de le quitter.