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Un jongleur et un dogue au bureau de vote

Quelle drôle d’élection présidentielle! A Ferney Voltaire, le scrutin de dimanche a d’ailleurs été marqué par deux faits divers – sans gravité, mais la police a dû intervenir.

A quoi ressemble un bureau de vote où l’on doit choisir entre un menteur et un fasciste? Les électeurs se déplacent-ils avec des gants de vaisselle – en bravant les consignes du Conseil constitutionnel qui a menacé d’une amende de 15’000 euros toute attitude provocante lors du second tour? A Ferney Voltaire, je n’ai vu ni pince à linge, ni masque à gaz. Juste quelques parapluies sous une averse particulièrement mesquine.

Le bureau de vote du Levant sent le chien mouillé. Et justement, vers les isoloirs, une femme s’agite en parlant d’un mystérieux chien, «un vrai pitbull». Au premier tour, Jean-Marie Le Pen a récolté plus 30% des suffrages tout près d’ici, dans le quartier des Tattes. «Je ne comprends vraiment pas, dit-elle. On est plutôt des privilégiés par ici, même si le coût de la vie est trop élevé.»

Voltaire disait que «l’homme est né pour vivre dans les convulsions de l’inquiétude ou dans la léthargie de l’ennui». Dans le quartier des Tattes, les deux articles sont abondamment disponibles.

Mais du côté des isoloirs, pour l’heure, «rien de spécial à signaler, à part l’épisode du chien», annonce la préposée. Elle s’apprête à m’en dire davantage quand un excentrique entre dans le bureau de vote en jonglant avec trois pommes golden. Apparemment insensible aux mises en garde du Conseil constitutionnel, il porte un gilet de music-hall rouge vif et se donne rapidement en spectacle.

Tout le monde l’observe d’un œil amusé mais personne ne le réprimande. Eric Béchis, jongleur amateur, se présente comme un saltimbanque. Il correspond assez bien au portrait robot du trotskyste de base, tendance artiste, plutôt besanceniste que laguillérien. Sauf qu’il n’est pas allé voter au premier tour et qu’il ne regrette pas son abstention.

«Là, je viens de voter Chirac. Les pommes, c’est pour lui.» Il a jonglé dans le bureau de vote pour manifester son ras-le-bol. Le saltimbanque ne croit pas à la démocratie. «C’est faux de dire que mon opinion pèse autant que celle de Jean-Marie Messier. La France est une ploutocrartie. Et ça ne me dérange pas du tout que Le Pen soit arrivé au second tour. C’est un révélateur, un signal. Mon oncle a voté pour lui, et je n’ai pas essayé de l’en dissuader. S’il se sent proche de Le Pen, il faut qu’il vote Le Pen, c’est très bien.»

Au fond de la salle, le maire madeliniste de Ferney, Pierre-Etienne Duty, s’affaire avec son adjoint Guy Jeannot. Ils viennent de recevoir les taux provisoires de participation et s’estiment satisfaits. A propos du carton de Le Pen dans le département? «Je comprends le sentiment d’insécurité, dit le maire. Les gens ont peur qu’on propose de la drogue à leurs enfants. Il n’y a pas assez de gendarmes. Et à notre niveau, on ne peut rien faire. Toutes les décisions sont prises en haut de la pyramide. Les directives européennes nous handicapent, les réglements s’empilent, et rien ne bouge. Il y a beaucoup trop de laxisme.» Son adjoint acquiesce. J’apprendrai plus tard qu’il y a eu quatre cambriolages à Ferney depuis le début de l’année.

L’élu libéral anti-laxisme poursuit sur l’incivilité: «Tenez, tout à l’heure, vous avez vu cette histoire de chien? » Non. «Eh bien, il y avait un chien qui n’était pas attaché devant le bureau de vote. Les gens ont pris peur. Nous avons dû intervenir.»

C’est donc ça l’insécurité dans la cité de Voltaire? La peur des chiens non-attachés? Je vais poser la question au brigadier Vincent Cocco, chef principal de la police municipale de Ferney. Le genre de policier qui utilise le mot flic et qui joue franc jeu. «Oui, j’ai été appelé tout à l’heure au bureau de vote parce qu’il y avait un chien détaché. C’était un dogue argentin. Comme un pitbull, mais beaucoup plus gros. Les gens qui allaient voter ont été effrayés, c’est normal. Le chien appartenait à un jeune du quartier. Je lui ai demandé de l’attacher et tout est rentré dans l’ordre.»

Quel quartier? Celui des Tattes, là où Le Pen a recueilli 30% des voix au premier tour.