Le démagogue hollandais assassiné lundi avait compris le mécanisme des médias. La fulgurance de sa carrière devait tout à la télévision.
Dans cinquante ou cent ans, quand un chercheur tentera de comprendre les fondements de la politique de ce début de XXIe siècle, souhaitons-lui de tomber la figure de Pim Fortuyn, cette comète hollandaise au crâne rasé qui vient, tel un démon issu de l’imagination de Rainer Werner Fassbinder, de traverser notre univers politique et médiatique.
Il y trouvera les traits principaux caractérisant l’entrelacs des rapports sociaux, économiques, culturels, religieux de l’époque.
La carrière politique du bonhomme est emblématique. Cet ancien sociologue marxisant a démontré au cours des quelques mois qu’il a consacrés à la politique, pour commencer dans un parti de droite, puis ces trois derniers mois sous sa propre étiquette, qu’avec un minimum d’intelligence, un aplomb sans limite, une absence totale de préjugés et une connaissance intime de la mécanique médiatique, il était possible de remporter des succès politiques fulgurants.
En faisant gober au bon peuple tout et son contraire, selon les bonnes recettes de nos populistes contemporains qui veulent faire le bonheur des petites gens en gelant les dépenses de santé et d’éducation ou réduire drastiquement la bureaucratie tout en augmentant la fonctionnalité des services publics ou encore lutter contre le chômage en virant les étrangers, etc.
En quelques semaines, grâce à son bagout, à son sens de la répartie, à la force des formules à l’emporte-pièce dont il était friand, Pim Fortuyn, tout en étant par son mode de vie provocant et tapageur, la négation totale des idéaux de ses électeurs a complètement bouleversé le paysage politique néerlandais. Au point que l’on en faisait par avance le vainqueur certain des élections de la semaine prochaine.
La fulgurance de cette carrière doit tout à la télévision. Et l’on en arrive à ce paradoxe contemporain qui veut que plus le mensonge est gros, mieux il passe. A condition que le média soit obéissant. On l’a déjà constaté avec Berlusconi qui a conquis le pouvoir en mentant de manière obsessionnelle et répétitive sur le danger communiste comme s’il s’adressait à l’Italie de 1945. On le voit chaque jour avec les insanités débitées d’un ton égal par Bush, Sharon ou Poutine sur leur prétendue lutte contre le terrorisme alors que chacun ne pense qu’à assurer plus fermement son pouvoir.
A condition bien sûr d’être bien maîtrisée, la télévision, aujourd’hui, permet tout. Chirac l’a admis implicitement en refusant de se faire démolir le portrait par Le Pen dans un débat où ils n’auraient pas usé d’armes égales. Le plus étonnant est qu’il ait fallu près de trente ans pour qu’elle en arrive ainsi à mettre sur orbite des clones à tête d’oeuf dont la brillance cache mal la vacuité.
Pim Fortuyn est mort de mort violente, victime semble-t-il de la violence qu’il a déchaînée. Aussitôt, médias et hommes politiques, avec une belle unanimité, ont versé une larme sur l’offense à la démocratie que représente cet attentat meurtrier.
Je ne vois pas pour ma part ce que la démocratie a à voir dans l’affaire. L’acte – condamnable en soi – vient se greffer sur un climat de violence entretenu depuis des années par l’extrême-droite européenne. Monsieur Pim Fortuyn, par son comportement bassement démagogique, n’avait rien d’un démocrate. Son programme politique n’avait rien de démocratique.
Il s’agirait tout de même de faire la différence entre la démocratie qui implique, entre autres, un débat courtois et citoyen sur les affaires de la cité et la démagogie utilisée par les boutefeu extrémistes. Si, depuis la plus haute antiquité, les philosophes parlent de « jeu » démocratique, c’est bien parce que sa pratique suppose le respect mutuel et le recours à des «armes» égales pour tous.
Les pantins populistes propulsés en politique par la quête dévoyée d’audimats toujours plus élevés n’ont rien à voir avec la démocratie. On peut espérer cet assassinat permettra de lancer un débat sérieux sur le danger que représente un certain usage de la télévision pour nos libertés. Car s’il suffit désormais de porter beau, d’être fort en gueule et d’avoir le culot de jouer la provoc jusqu’au bout pour gagner des élections, on finira par regretter Le Pen!
