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La force des Etats-Unis, la solitude du Pentagone

La domination technique américaine est telle que le contact militaire physique n’est plus nécessaire. C’est la leçon de cette guerre qui vient de prendre fin. Il n’y a pas de quoi se montrer optimiste.

Bill Clinton avait le compliment généreux jeudi en prenant acte de la fin de la guerre au Kosovo: «L’OTAN est plus forte et unie que jamais», déclarait-il devant les caméras de télévision. On imagine ce qu’il pensait in petto: que les Etats-Unis d’Amérique venaient, seuls, de remporter une superbe victoire.

Sans être un fan des B52, mais en ayant tout de même étudié le déroulement de pas mal de batailles et de guerres, je dois reconnaître que la guerre superaérienne de l’OTAN (au-dessus de 4500 mètres) va entrer dans les annales de l’histoire militaire: 35’000 sorties et pas un mort!

Une fois de plus analystes, observateurs, spécialistes divers et nombre de journalistes se sont plantés: la domination technique américaine est telle que le contact militaire physique n’est plus nécessaire.

De surcroît, les pertes serbes – je le dis sans cynisme, mais en tenant compte de l’intensité des bombardements – ne sont, selon toute vraisemblance, pas très considérables, quelques milliers de victimes au plus. Alors qu’une intervention terrestre aurait provoqué une boucherie épouvantable.

Bill Clinton peut se sentir d’autant plus fort que, même acquise aux points plutôt que par K.-O., sa victoire est complète: le Kosovo ne sera pas partagé en zones d’influence antagonistes comme on pouvait le craindre il y a quelques jours encore.

Les Russes, malgré leurs rodomontades, ont administré la preuve de leur faiblesse: ils ne peuvent même pas financer les troupes participant à l’occupation du Kosovo, ni même les fournir en carburants… C’est dire qu’ils ne sont vraiment pas en situation de poser des conditions sur le terrain, ni d’ébaucher l’expression d’une solidarité réelle avec la Serbie. Où est donc passé le porte-avions que Moscou avait solennellement envoyé en Adriatique au début du conflit?

Du côté chinois, la débâcle n’est pas moins impressionnante et le tigre de papier frétille tout nu sur sa branche. Après avoir lancé des milliers de manifestants devant les ambassades occidentales à la suite de la destruction de son ambassade belgradoise, Pékin se prosterne sans vergogne devant le dollar et, en échange de quelques facilités dans le commerce international, s’abstient à l’ONU.

Face à l’omnipotence américaine, cette faiblesse chinoise, ajoutée à la faillite russe et à la crise japonaise, est d’ailleurs l’une des inconnues les plus inquiétantes pour l’avenir: un tel monde unidimensionnel ne peut qu’imploser.

Et l’Europe? Comme elle en a pris goût depuis 1917, elle sert de paillasson à la puissance américaine. Ses forces armées balaient les emballages de chewing gum et les bouteilles de coca après le passage des marines.

Les gesticulations diplomatiques et politiques de ces dernières semaines pourraient faire croire à une volonté partagée de créer une diplomatie et une défense communes. C’est possible, et on ne demande qu’à y croire. Mais cela suppose, en plus de la volonté politique (qui pourrait jaillir du nouvel axe germano-britannique), des investissements considérables. Or qui dit armes et financements parle aussi de mécanismes de contrôle, notamment constitutionnels et parlementaires, qui pour le moment n’existent pas.

Par ailleurs, l’Union européenne est fortement impliquée dans le pacte de stabilité pour les Balkans décidé mercredi, pacte qui suppose de sérieux investissements dans la péninsule pour favoriser son passage à la démocratie. Les Américains ont déjà fait savoir qu’ils ne mettraient pas un sou pour reconstruire le Kosovo, tâche réservée aux Européens. Nous serons donc rapidement fixés sur la volonté de l’UE. Mais une chose est sûre: si des milliards sont dégagés pour soutenir les Balkans, où trouvera-t-elle les capitaux pour lancer une défense européenne?

De plus, la guerre a révélé un paradoxe: les partisans les plus convaincus de la construction européenne sont pro-américains, donc peu enclins à faire de la défense commune une priorité. Et les Européens anti-américains sont eux pacifistes, souverainistes et anti-européens, donc opposé à une défense commune tout en étant favorables à des armées nationales, qui de toute manière ne font plus le poids.

Le Pentagone a encore de beaux jours devant lui.