Le lever de rideau de l’événement sportif le plus global de la planète, ce vendredi dans la capitale coréenne (à 13h30 en Europe), met aux prises la phalange tricolore, championne du monde sortante, avec l’équipe du Sénégal, dont c’est la première participation à un Mondial.
On aimerait pouvoir écrire que la rencontre opposera des ogres bleus, invincibles titans de la planète football depuis quatre ans, aux petits poucets de Casamance, touchants mais fragiles artistes en phase d’apprentissage à ce niveau de la compétition.
Seulement voilà, les Sénégalais ne sont pas vraiment des nains, eux qui sont parvenus en finale de la récente Coupe d’Afrique des Nations. La totalité des joueurs de l’équipe évolue en outre dans le championnat de France (comme Hadji Diouf qui a fait cette saison les beaux jours du RC Lens), ce qui assure une «eurocompatibilité» de leur style de jeu, la touche africaine en plus.
Bref, de quoi donner des sueurs froides aux Champions du monde.
Ce match, toute première confrontation directe entre les deux équipes, devrait en toute logique être une formalité pour les Bleus, qui vont tenter l’exploit inédit de remporter deux trophées mondiaux d’affilée après avoir vaincu la Squadra Azzura à l’arraché en finale de l’Euro 2000.
Or que se passe-t-il depuis le début de la semaine? Les degrés grimpent sur l’échelle hexagonale du trouillomètre.
Une peur indicible s’est emparée de la nation, dont la psyché collective accuse déjà une baisse notoire de régime depuis l’électrochoc lepéniste des urnes le 21 avril dernier.
Fragilisés dans ce qu’ils avaient pris pour une certitude (la victoire, et un, et deux et trois zéro), les électeurs-spectateurs se prennent à douter: et si la coalition sportive black-blanc-beur de 1998 sombrait elle aussi dans la morosité?
L’insécurité, ici, n’est pas dans les banlieues. Elle trouve ses racines dans un muscle, le quadriceps. Celui, en l’occurrence, du monarque Zizou Ier, mal en point, et qui cause depuis dimanche dernier l’émoi profond des sujets de l’Hexagone. «Il s’agit de quelques fibres dans le tiers médian de la masse musculaire du quadriceps gauche», a dit l’entraîneur Roger Lemerre, toujours aussi précis, avant de se murer dans ce silence de secret d’Etat qu’il affectionne tant.
Autrement dit, trois fois rien, quelques millimètres de tissu fibreux légèrement contusionnés, pour plonger 60 millions d’âmes dans des abîmes de perplexité. La France jouera donc son match d’ouverture sans Zidane.
Depuis qu’on le sait, on a presque oublié que l’Inde et le Pakistan sont sur le point de se livrer la première guerre nucléaire de l’Histoire. L’histoire du ballon rond, justement, tient souvent aux petites blessures de ses grands hommes.
Comme en écho aux soucis de Zinedine, l’Angleterre vit elle aussi depuis plusieurs semaines sous l’emprise d’une véritable psychose du métatarse. Celui du deuxième doigt du pied droit de David Beckham, tout juste guéri. Le temps que les fibres osseuses fusionnent à nouveau, le Royaume d’Albion, les yeux rivés sur un scanner, a passé par pertes et profits les fastes du Jubilé de l’autre souverain de la nation, une certaine Elizabeth, seconde du nom, moins à l’aise que le roi David dans la surface de réparation.
«Catastrophe, Beckham ne jouera pas la Coupe du Monde!», titraient affligés, fin mars, les quotidiens britanniques, et pas seulement les tabloïds. Enfin, plusieurs dizaines de milliers de livres sterling de frais hospitaliers de luxe plus tard, le royal pied est ressuscité, on l’a appris il y a deux jours.
Beckham tiendra sa place dimanche dans le National Squad anglais au moment d’affronter la Suède dans le «groupe de la mort» (Angleterre, Argentine, Suède, Nigeria). De Londres à Newcastle, toute la «middle England» respire: Beckham fera partie du onze de départ contre l’Argentine, la revanche, 20 ans plus tard, de la Guerre des Malouines!
Les Sénégalais, pour revenir à eux, ont eu d’autres soucis de dernière minute. Le brave Fadiga a en effet eu l’heureuse idée de faucher un bracelet en or (deux cent dollars, une broutille) dans une bijouterie de Séoul. «C’était pour rire, un pari avec les copains», a dit le joueur aux flics coréens venus le serrer avant de le relâcher.
Fadiga n’a pas de problème côté métatarse, cela ne l’empêche pas d’être dans ses petits souliers. L’épisode n’a toutefois amusé personne à Dakar, où l’on considère que l’affaire a été gonflée par la presse française dans le but de nuire aux vaillants combattants sénégalais juste avant le match de leur vie.
Et les journalistes sportifs dakarois de rappeler, dans la même – peu sportive – foulée, la traite des Noirs et les méfaits de l’ex-puissance coloniale. «Le football, dit la légende universelle, ce n’est pas une question de vie ou de mort. C’est bien plus important que cela».
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Guillaume Dalibert est journaliste, vit à Paris et collabore occasionnellement à Largeur.com depuis 1999.