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La chair canon du «Blue Iguana»

On ne peut pas demander à un cinéaste qui a érigé la naïveté new age en absolu poétique – tout le monde se souvient de «Il Postino» – de porter un regard incisif sur l’univers du strip-tease. A chacun selon ses talents. Celui de Michael Radford, cinéaste consensuel, est de transformer un sujet à priori très sexuel en spectacle tout public.

«Dancing at the Blue Iguana» de Michael Radford n’a donc rien à voir avec le mélancolique et pervers «Exotica» d’Atom Egoyan et moins encore avec le méchamment jubilatoire «Showgirls» de Paul Verhoeven, lequel montrait sans fausse pudeur combien la vie d’une danseuse topless à Las Vegas ressemblait à celle d’un GI, avec exercices militaires, soumission à la hiérarchie et culte du sacrifice.

A côté des établissements d’Egoyan et de Verhoeven, le club de Michael Radford ressemble à une pension de famille, plus proche de la maison close idéalisée du XIXe siècle que d’un bordel de la zone industrielle de Los Angeles. La raison en est simple: «Dancing at the Blue Iguana» est un film expérimental basé sur l’improvisation de ses interprètes, lesquelles ne tenaient pas particulièrement, et on les comprend, à n’être que de la chair canon!

Chaque comédienne a donc imaginé une vie privée à son personnage public: Angel tente de se qualifier comme mère adoptive, Jasmine rêve d’une reconversion dans la poésie, Jo doit faire face à une grossesse non désirée, Stromy retrouve son frère incestueux et Jesse, la nouvelle venue, tente de trouver sa place au sein du groupe.

Il se passe dans le film de Michael Radford ce qui se passe dans une boîte de strip-tease, on y voit une suite de numéros sans liens entre eux. C’est la limite de ce work in progress, malgré la volonté trop évidente du réalisateur à croiser le destin de ses héroïnes. L’ensemble du film se regarde pourtant avec plaisir. Un plaisir qui en appelle davantage à l’identification compassionnelle qu’à une pulsion voyeuriste – d’où l’appréciation favorable du public féminin.

Car s’il est émouvant, le film de Michael Radford n’est pas véritablement excitant. Joli paradoxe puisque le meilleur de «Dancing at the Blue Iguana» réside dans les scènes de strip-tease, ces séquences où les comédiennes s’emploient à faire exister leur personnage, à en dresser un portrait nuancé, tout en respectant les règles d’un spectacle codifié. Faire apparaître un personnage derrière un cliché, voilà la gageure.

La frêle Jasmine évolue sur scène comme un pinceau dessinerait un haïku, dans une belle épure graphique; Stormy l’incestueuse monte un numéro tragique, sorte de théâtre antique où le sexe côtoie la mort; Jo, Goulue toxicomane, ne trouve jamais la bonne distance avec le client et Jesse, comme le veut son jeune âge, se voit attribuer les cde Lolita en socquettes blanches.

Mais c’est Daryl Hannanh («Splash») qui, dans l’exercice délicat du strip-tease, défend le mieux la nature farfelue, aimante, enfantine et joyeusement dépressive de son rôle, Angel. Avec son grand corps emprunté et ses longues jambes de faon, elle compose un personnage inédit du monde de la nuit, un savant mélange de Loana, Fifi Brindacier, Valentin le désossé et Sainte-Thérèse de Lisieux. Plus généralement, c’est elle qui donne la tonalité de ce film sans enjeu réel mais sympathique, où les corps se lisent comme des visages et où la nudité rime avec chasteté.

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«Dancing at the Blue Iguana», de Michael Radford, avec Charlotte Ayanna, Daryl Hannah, Sandra Oh, Jennifer Tilly et Elias Koteas.