LATITUDES

Vérités et mensonges sur le clonage

Si les apprentis cloneurs disent vrai, le premier bébé doublé génétiquement devrait naître cette année. Qu’en est-il réellement? Pour l’essayiste Patrice Bollon, nous nous sommes déjà culturellement clonés.

Un professeur italien qui annonce la naissance prochaine du premier clone humain. Un essayiste français qui prétend que, clonés, nous le sommes tous. Produirons-nous des clones demain? Sommes-nous aujourd’hui déjà des clones?

Si les apprentis cloneurs ne sont pas des menteurs, d’ici la fin de l’année devrait naître un bébé cloné. Depuis ce printemps, ceux-ci nous ont livré quantité de déclarations fracassantes suivies d’autant de démentis. A tel point que la revue «Médecine et hygiène» estimait, en mai, que le clonage reproductif était l’objet «d’une déferlante médiatique» et en dressait la palpitante chronologie.

Rumeurs, confirmations et démentis ont semé la confusion autour du clonage. Les acteurs de ce feuilleton à rebondissements: le gynécologue italien Severino Antinori, surnommé «l’accoucheurs des grands-mères» (en 1994, il permettait à une femme de 63 ans de procréer), l’andrologue américain Panayiotis Zavos et la secte raélienne.

La chronologie ci-dessus vient de s’enrichir d’éléments nouveaux. Le 10 juillet, la société privée Clonaid créée par l’Eglise raélienne présentait à Tokyo les derniers résultats des travaux menés dans le domaine du clonage humain. Les raéliens voient dans cette technique une manière d’atteindre la vie éternelle.

Le 12 juillet, «Libération» publiait une interview de Severino Antinori qui affirmait: «J’ai fait 18 transferts d’embryons créés par clonage. Et j’ai obtenu une grossesse. Elle est dans sa quinzième semaine. Le fœtus a une bonne morphologie.»

Le lendemain, le quotidien titre «Clonage: le cinéma d’Antinori». Est-ce le même individu ou son clone qui s’exprime? Le professeur dément toutes les informations relatives au clonage qui lui sont attribuées dans l’article de la veille! Nous n’en sommes qu’aux premiers épisodes d’un feuilleton probablement très long.

Médusés, des éthiciens s’alarment face aux perspectives vertigineuses ouvertes par le clonage. Psychiatres et sociologues pointent du doigt les bouleversements que cela susciterait dans les rapports de parenté et entre les sexes.

Ni frère, ni sœur, ni fils, ni fille, le clone ne s’inscrit pas dans un rapport de filiation. Que de séances sur un divan pour éventuellement se trouver une identité… «Le plus bel exemple de ce «miroir bionique» et de cette «nécrose narcissique»: le clonage, forme limite de l’autoséduction: du Même au Même sans passer par l’Autre.», estime le sociologue et philosophe Jean Baudrillard dans son livre «De la séduction».

Moins alarmiste, un philosophe comme Paul Ricoeur ne s’inquiète pas outre mesure: «Un clone et son modèle ne sauraient jamais avoir la même histoire propre.»

Nous sommes tous des clones

Alors que la fabrication de l’identique physique suscite un débat passionné, un certain Patrice Bollon, journaliste («Le Monde», «Libération», «Globe») et essayiste vient nous rappeler que clones, nous le sommes déjà. Non pas génétiquement, mais de mille et une autres manières. Par conformisme, nous sommes devenus des «réplicants», de perroquets, de modestes duplicata. Notre société un spectacle de karaoké.

Dans son dernier ouvrage «Esprit d’époque. Essai sur l’âme contemporaine et le conformisme naturel de nos sociétés», Patrice Bollon assène un rude coup à notre sentiment d’originalité. Non, les conformistes, ce ne sont pas que les autres! Une analyse d’une série de signes d’époque, des plus superficiels aux plus sérieux, l’amène à cette conclusion: nous appartenons tous à un troupeau. Un constat qui rejoint celui hurlé en 1977 par les punks «We’re all clichés».

On n’imagine pas tout ce qui s’impose à nous de façon insidieuse. Quand nous prétendons tenir un discours personnel, avancer une position individuelle ou produire une remarque originale, c’est en réalité, dans l’écrasante majorité des cas, «notre temps qui s’exprime à travers nous et délivre ses propres jugements, sa propre appréciation des choses, à notre place», affirme l’auteur qui assortit ses dires d’une foule d’exemples convaincants.

Les traits de nos visages, nos parfums, notre goût culinaire, le design de nos objets, la décoration de nos intérieurs, nos tics de langage, nos goûts en matière artistique, notre conception de l’espace, nos idées même, obéissent à un mimétisme et reproduisent une société et une époque données.

Comment s’émanciper de cette empreinte? L’originalité est une chose éminemment volontaire, construite, lucide, résultant d’une connaissance, c’est une conquête incessante. Il s’agit de déjouer nos «allants de soi», ces associations d’idées machinales qu’établit chaque époque. D’où la conclusion du bouquin: «La seule chance qui s’offre à nous de devenir autre chose qu’un pantin de notre époque, une personne, c’est de nous confronter sans relâche à ce qui nous porte continûment à la copie et à la répétition, à l’oubli de la conscience.»

Nos futurs clones physiques ne viendront-ils que parachever le processus de clonage mental décrit par Patrice Bollon?