De ses huit ans passés dans une banque, en tant qu’apprentie puis au back office, DJ Tatana a conservé une discrétion de trésorière. Elle refuse de dévoiler le montant de ses cachets. «Ce n’est pas vraiment intéressant», décrète-t-elle. Mais elle admet que c’est «assez pour survivre» et précise que «les shows du Nouvel-An sont payés jusqu’à trois fois plus chers qu’une performance habituelle».
Arrivée d’ex-Tchécoslovaquie à l’âge de 5 ans, Tatana Sterba s’est rapidement fondue dans une Suisse polyglotte et conformiste. Bonne élève, enfant peu rebelle, elle n’a pas décidé de devenir DJ par revendication contre-culturelle. Elle s’est mise à mixer pour le plaisir, poursuivant cette voie jusqu’à son aboutissement professionnel, voici deux ans.
C’est son ami, avec qui elle fréquente la scène techno naissante des années 90, qui l’initie au maniement des platines. Ses parents ne formulent aucune objection, songeant plutôt qu’il s’agit d’«une mode qui passera après six mois».
En 1994, coup de chance: on lui propose de mixer en direct. Son talent est remarqué. DJ Tatana n’a que 17 ans. Dès lors, on l’engagera pour animer des soirées et, grâce à son entrain autant qu’à son sens commercial, elle se fera rapidement un nom parmi les clubs et DJ suisses.
Professionnelle et franche, Tatana a d’abord conquis un public suisse alémanique avide de «trance». Les Romands l’ont découverte plus récemment, sur d’immenses affiches, coiffée d’écouteurs, en train de mélanger un pot de yogourt Toni. Une participation publicitaire qui n’avait rien d’exclusif: au même moment, DJ Tatana vendait son image à une campagne Coca-Cola.
Comprendre son public
Sa compréhension des goûts du public a joué un grand rôle dans son ascension. «Je fais de mon mieux pour satisfaire mon public. Après tout, ils paient une entrée et veulent s’amuser, je suis responsable de leur bonne humeur.»
Elle trouve toujours l’énergie, «même lorsque j’ai mes règles et que je resterais volontiers à la maison». Le mix constitue pour elle un véritable «Traumjob», qui lui inspire des phrases d’une banalité étonnante («C’est un vrai plaisir de faire ce qu’on aime!»).
En comparaison, son ancien travail d’employée de banque lui paraît un peu terne. «C’était pas mal, mais ce n’était pas un rêve.» Aujourd’hui, le nom de DJ Tatana figure sur nombre de pochettes de CD, compilations ou remix travaillés en studio avec son fidèle allié, son producteur allemand Torsten Stenzel.
«Dans le studio, on choisit les rythmes, les voix, le mixage et on enregistre ainsi des chansons entières.» La voix est celle de Matthew, un Américain qui vit en Allemagne et avec qui elle collabore depuis trois ans. Mais pourquoi ne pas interpréter elle-même les parties chantées? «Une voix d’homme, ça passe mieux avec une femme DJ», déclare-t-elle avant d’avouer suivre des cours de chant.
Disciplinée, DJ Tatana ne s’accorde une grasse matinée que le lundi, pour récupérer du week-end. Le reste de la semaine, elle s’efforce de se lever tôt, «pour ne pas me donner l’impression de ne vivre que dans la nuit».
Le secret de son succès? La «Frau DJ» la plus célèbre de Suisse se contente de mixer de manière impulsive, en fonction des inspirations du moment. «Mais le public est contraint d’écouter mes propres titres à chaque fois!»
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«Je ne compte pas la mesure, c’est trop difficile», avoue DJ Tatana. Elle travaille à la fois avec des disques de vinyle et des CD. La table de mixage lui permet d’exécuter une transition fondue des morceaux, en mélangeant les tonalités, les rythmes, et en incorporant les effets adéquats. Les tables les plus récentes permettent de jouer avec plusieurs effets simultanés et de composer en direct.
Chaque club a sa propre table de mixage, qui demande un certain temps d’adaptation de la part du DJ. Tatana compare ce fonctionnement à celui d’une voiture: «On sait conduire, mais chaque voiture réagit différemment. Et finalement, tout est question de feeling. Le mix ne peut pas être enseigné.» Elle a appris le métier sur la table de son copain, et s’est offerte la sienne l’année dernière seulement.
Pour Tatana, ce qui compte avant tout dans un club, ce sont les gens qu’elle y connaît. Autant dire que pour la voir mixer à son aise, il faut se déplacer dans les boîtes où elle a établit résidence: le Mad à Lausanne et l’Oxa à Zürich.