CULTURE

«Les Sentiers de la perdition»? Un vrai film faux-cul

La presse internationale a tissé des couronnes au deuxième long métrage de Sam Mendes (après «American Beauty»). On se demande bien pourquoi. C’est un film académique, niais et crâneur.

Quand on voit les films en séance de presse, sans pub ni coupure, on ne peut pas s’en rendre compte. Mais quand on assiste à leur projection en salles, qui plus est un vendredi ou samedi soir, cela saute aux yeux: il y a bien un avant et un après entracte.

Plusieurs d’entre eux ne résistent pas à la pause pop-corn, soit qu’ils s’autodétruisent («A.I.» de Spielberg reste le meilleur exemple), soit qu’ils rompent les promesses esquissées dans la première partie, révélant du même coup leur côté tape-à-l’œil.

C’est le cas des «Sentiers de la perdition» de Sam Mendes, 37 ans, prodige de la scène anglaise devenu la valeur montante de Hollywood avec «American Beauty», cinq fois oscarisé.

«Les Sentiers de la perdition» commence pourtant bien, avec une scène émotionnellement forte, de celles qui nouent les tragédies les plus sombres ou les contes pour enfants les plus cruels. Par le trou de la serrure, Sullivan junior, dix ans, découvre le vrai métier de son père, Sullivan senior – homme de main à la solde de la mafia irlandaise –, et assiste en témoin impuissant à un massacre. Ambiance pluvieuse, nuit éclairée par la lune, logique de cauchemar.

La scène est soignée, certes, mais sans réelle conséquence sur le reste de l’histoire. Le gamin semble à peine ébranlé par ce qu’il a vu. Son père fait comme si ce n’était qu’un mauvais rêve et le film oublie carrément cette scène originelle – ainsi que la suivante: le massacre de la mère et du fils cadet – pour lui préférer une piste plus conventionnelle: le road movie d’un homme en cavale qui doit sauver sa peau et celle de son fils, tout en faisant la peau à ceux qui l’importunent.

Mais attention, ce gangster des années trente est aussi un père conscient de la puissance de l’exemple. Il ne veut pas que ses «nettoyages» à la mitrailleuse puissent influencer son garçon et l’encourager à prendre la même voie que lui. En homme responsable, il refuse que son enfant l’accompagne dans ses basses besognes; il lui interdit l’accès aux scènes de la violence, comme des parents contemporains priveraient leurs rejetons de TV.

Ce souci pédagogique serait généreux s’il n’était pas aussi hypocrite, et surtout producteur d’un double contresens. D’une part, parce que le fils a déjà vu le pire; d’autre part parce que l’enfant doit être le point de vue du film, son narrateur même. On se demande alors comment Sullivan junior peut raconter avec force détails quelque chose dont il n’aurait pas été le témoin!

Cette ambiguïté ne relève pas seulement d’une faiblesse de scénario, elle trahit l’ambition véritable de Sam Mendes, réalisateur ultra hollywoodien en dépit de sa nationalité anglaise. Hollywoodien dans cette manière d’exalter la mythologie du cinéma américain (film de mafia, avec super héros) tout en condamnant, en parole et non en acte, sa violence.

Une violence bien utile quand même puisqu’elle finit par résoudre tous les problèmes. Cette forme de puritanisme était déjà en œuvre dans «American Beauty», faux film critique, mais vrai film faux cul. C’est ce même opportunisme qui mine «Les Sentiers de la perdition», film de genre plus préoccupé de style que de mise en scène, d’ambiance que de récit, de bons sentiments filiaux que de relations véritables – rien ne se noue entre les personnages. Ils restent désespérément des silhouettes.

La seule chose qui semble réellement intéresser Sam Mendes, c’est d’exhiber son savoir-faire dans les scènes de règlements de comptes. «Regardez comme je suis original!», semble crier le film à chaque nouvelle tuerie.

Alors, oui, c’est vrai, il y a le massacre à la mitrailleuse qui se déroule sous la pluie, dans la nuit, sans un son, avec des tas de petits bonshommes à la Magritte, chapeau et pardessus, qui tombe en silence sur le pavé. Oui, il y a la scène dite de «Marat dans sa baignoire» où l’on découvre par un savant jeu de miroirs le cadavre ensanglanté d’un mafieux abject.

Oui, il y a le massacre initial dont on ne voit rien, sinon des pieds qui vacillent, et le bain de sang final, filmé par une lumière aveuglante dans un double reflet de vitre. C’est impeccable, bien sûr: cadrages splendides, lumières raffinées, photographie parfaite, mais ce n’est que vanité de bon élève voulant rivaliser avec les maîtres.

La presse a beaucoup vanté le jeu des comédiens dans «Les Sentiers de la perdition». Mais dans un film aussi corseté, écrit à sa propre gloire, où les scènes techniques dominent les moments dramatiques, comment les acteurs pourraient-ils être bons? Pour jouer les tueurs tourmentés, Tom Hanks fronce les sourcils et s’enfonce la tête dans les épaules comme une tortue inexpressive tandis que Jude Law s’est fabriqué une calvitie de vautour pour incarner un photographe-assassin.

Certes, il y a le regard pervenche de Paul Newman, mais on n’a encore jamais donné un Oscar à une paire d’yeux. Là encore, beaucoup d’afféteries pour rien.

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«Les Sentiers de la perdition», de Sam Mendes, avec Tom Hanks, Paul Newman, Jude Law