LATITUDES

Le sexe fait vendre? Pas si sûr…

Les publicités diffusées dans un contexte sexuel sont moins efficaces que les autres. C’est ce que viennent de démontrer deux chercheurs américains dans une étude surprenante.

Drôle de coïncidence. A l’heure où Dominique Baudis — président du Conseil supérieur de l’audiovisuel français — part en croisade contre le porno à la télévision, on apprend que les programmes à caractère sexuel sont moins efficaces que ne le pensaient les publicitaires.

Cette découverte figure dans la conclusion de la première étude visant à examiner le rapport entre le sexe à la télévision et la mémorisation des messages commerciaux. Menée par Brad J. Bushman et Angelica M. Bonacci de l’Université de Iowa, la recherche est publiée dans le «Journal of Applied Psychology» (Vol.87, No 3, 2002).

Un échantillon représentatif de la population a été soumis à l’expérimentation suivante: trois groupes, choisis au hasard, ont visionné à la télévision des films violents, des films de sexe ou des émissions «neutres». Chaque programme contenait neuf spots publicitaires pour des produits de consommation courante, tels des boissons, des céréales ou des produits de lessive. On a demandé aux participants, immédiatement après le visionnement, puis à nouveau vingt-quatre heures plus tard, quelles étaient les publicités dont ils se souvenaient.

Les résultats ont révélé que les téléspectateurs qui avaient vu le programme «neutre» — celui qui ne contenant aucune scène de violence ou de sexe – mémorisaient significativement mieux les pubs que les autres participants. Que ce soit juste après l’expérience ou un jour après, ces téléspectateurs se sont souvenus d’un plus grand nombre de publicités.

Le contenu violent ou sexuel du programme a indéniablement porté atteinte à la capacité de mémorisation des téléspectateurs et téléspectatrices de tout âge, indépendamment du fait qu’ils appréciaient ou non les programmes regardés. De précédentes études avaient déjà conclu à un pareil impact de la violence mais on ignorait jusqu’alors qu’il en allait de même pour le sexe.

Pourquoi les spots intercalés dans des émissions de sexe ou de violence sont-ils moins bien mémorisés? Selon une théorie développée par R. Hunt («Fundamentals of cognitive psychology»), des échecs d’encodage d’informations dans la mémoire à long terme surviennent lorsque l’individu n’accorde pas une attention suffisante au stimulus enregistré.

Les individus ont une capacité d’attention limitée. Plus ils sont attentifs au programme lui-même, moins ils le sont à tous les autres stimuli. Il se pourrait donc que les caractéristiques contextuelles du programme TV écartent l’attention des messages publicitaires. C’est là une hypothèse que les auteurs de l’étude vont tenter de vérifier prochainement.

La violence et le sexe sont abondamment utilisés à la télévision pour faire grimper l’audimat. En quête d’une audience maximale, les agence publicitaires insèrent logiquement leurs spots dans ce genre d’émissions. Une logique aujourd’hui remise en question. En effet, à quoi bon diffuser des messages dont on vient d’apprendre qu’ils sont mal mémorisés, donc moins efficaces?

«Il est peu probable que les appels à la morale de parents ou d’autres citoyens concernés parviennent à convaincre l’industrie de la TV de réduire la quantité de sexe et de violence diffusée sur le petit écran, estiment Brad J. Bushman et Angelica M. Bonacci. Seule la loi du profit détermine quels sont les programmes montrés. Si les annonceurs refusent de financer des programmes violents ou à connotation sexuelle, ceux-ci disparaîtront si l’on se réfère aux déclarations de l’ancien chef des programmes de CBS.»

«La priorité numéro un à la télévision n’est pas de diffuser des programmes de qualité aux spectateurs, mais de livrer des consommateurs à des professionnels de la publicité, déclare-t-il. Les résultats de notre recherche devraient amener ces professionnels à réfléchir deux fois avant de sponsoriser des programmes violents ou sexuels à la TV», concluent Brad J. Bushman et Angelica M. Bonacci.

Ce n’est pas en prônant une logique prohibitionniste, en jouant les «pères la morale», comme vient de le faire Dominique Baudis, que l’on infléchira la teneur des programmes TV. C’est en parlant le langage de l’argent.