A l’issue d’un procès fleuve qui a duré plus de deux ans, la victoire est presque totale pour le groupe de Bill Gates. Quelles en seront les conséquences? Explications.
Si l’on veut juger de la santé actuelle de Microsoft, il suffit de remarquer qu’au milieu de la débâcle du secteur informatique, la société de Redmond a annoncé le mois dernier que ses revenus trimestriels avaient doublé et que ses profits avaient augmenté de 26 %.
Pour améliorer encore cette situation, un juge fédéral vient, le 1er novembre, de valider l’accord très favorable conclu avec le gouvernement en novembre 2001.
La juge Colleen Kollar-Kotelly a rejeté les arguments de neuf Etats qui demandaient des sanctions plus strictes en réponse aux violations de la loi contre les monopoles, ainsi qu’une défense active des nouvelles technologies contre la puissance de l’entreprise de Bill Gates.
Il y a deux ans, un juge avait tranché pour le démembrement de la société en deux entités. Il y a un peu plus d’un an, une cour d’appel avait refusé la division, mais avait confirmé que Microsoft était un monopole, et que la société abusait de son pouvoir face à ses concurrentes. Tout comme le ministère de la Justice et l’entreprise, la juge Kollar-Kotelly vient de considérer que les sanctions devaient se limiter aux mesures utiles pour prévenir les pratiques illégales.
Colleen Kollar-Kotelly se refuse donc à interférer avec les pratiques de Microsoft tant en ce qui concerne sa gestion que la conception de ses produits. Elle ôte toute légitimité aux accusations des Etats en insinuant que ces attaques sont téléguidées: «Certains concurrents de Microsoft semblent être ceux qui sont les plus intéressés par ces mesures.»
Il est peu probable que les Etats poursuivent leur lutte dans la mesure où ils ont dépensé de grandes sommes d’argent sans résultats significatifs.
La juge exige pourtant que Microsoft communique les protocoles de communication de Windows pour que d’autres entreprises de logiciels pour serveurs ne soient pas pénalisées. Elle demande également au ministère de la Justice de renforcer le rôle de la cour en ce qui concerne l’évaluation de l’accord.
La décision de la juge obéit à une logique largement présentée par les défenseurs de Microsoft: le monopole est une situation presque naturelle pour les entreprises du secteur du logiciel lorsque celles-ci occupent des positions dominantes très tôt dans le processus de l’apparition d’une technologie.
En effet, les frais les plus importants sont encourus lors de la phase initiale (recherche et développement), alors que la fabrication des produits est relativement marginale. Ces coûts peuvent se répartir entre un plus grand nombre de clients dont la facture est alors moins élevée. Le prix inférieur permet d’attirer encore plus d’acheteurs.
On peut ajouter à cela la logique des réseaux: quelqu’un qui achète son premier ordinateur a intérêt à acheter un matériel qui communique bien avec les autres. La position d’Apple a reculé considérablement lorsque, grâce à internet, il est devenu moins important de disposer du meilleur ordinateur, et plus utile de pouvoir communiquer sans peine avec des collègues, des amis, et des membres de sa famille.
Ceux qui connaissent bien Microsoft affirment que sa culture a changé. Le ton serait un peu moins agressif avec ses associés, et plus prudent face à la loi. Toutefois, le pouvoir de Microsoft sur le marché est plus grand que jamais.
Pour Gene Kimmelman, directeur de Consumers Union, la mesure «constitue une indication que la conception de la loi contre les monopoles qui est celle du gouvernement permettra aux grandes sociétés dominantes de contrôler le secteur de la technologie.»
Bill Gates a accueilli le jugement en le qualifiant de «sévère», mais en indiquant qu’il ferait son possible pour le respecter et que sa société continuerait à «innover». Mais d’après Dan Gillmor, chroniqueur vedette du journal Mercury News, «cela signifie, en termes pratiques, que la loi contre les monopoles n’aura aucun effet sérieux contre les sociétés qui changent rapidement.»
La majorité des entreprises de la Silicon Valley ont préféré garder le silence, ce qui est toujours synonyme d’une certaine peur. Le sentiment dominant est exprimé par Michel Kertzman, le président de Liberate Technologies, un leader en matière de programmes pour télévision numérique: «Les gens sont contrariés mais ne sont pas surpris.»
Certains observateurs définissent le jugement comme une victoire partielle pour Microsoft. Une appréciation que partage Gillmor, à condition de la définir comme celle d’un «parti politique qui aurait gagné 95 % des sièges à l’assemblée, pendant que l’autre fanfaronne avec les quelques sièges qu’il a.»
Il dit aussi qu’il est temps de «faire des choix qui impliquent moins de commodité aujourd’hui pour avoir plus de liberté demain.»
En clair: heureusement qu’on a Linux. Il est temps de s’y mettre.
