L’égérie du mouvement antimondialiste revient avec «Fences and Windows», un guide de survie dans le monde économique. Achetez-le, mais pas samedi.
Vous ne le saviez pas? Samedi sera une «journée sans achat», un «buy nothing day» comme on dit aux Etats-Unis. Nous sommes tous encouragés à ne pas dépenser un sou pendant 24 heures.
Le concept a été lancé il y a dix ans par des transfuges de la pub qui ont pris le nom de Adbusters. Leur mouvement a ensuite pris racine en Europe, notamment en France où le mouvement des Casseurs de pub et Résistance à l’agression publicitaire dénoncent chaque année à cette occasion la surconsommation, l’emprise des marques et le rôle jugé pervers de la pub.
Si vous voulez faire partie de la solution et non du problème, achetez donc vendredi, et non pas samedi, le dernier ouvrage de Naomi Klein. Vous observerez ainsi à la lettre le slogan du 23 novembre: «Retrouver le plaisir de passer une journée sans acheter»*.
Il y a trois ans, la jeune journaliste canadienne cartonnait avec «No Logo», devenu depuis un véritable livre culte, traduit en 23 langues. Ses nombreux lecteurs vont sans doute se ruer sur «Fences and Windows. Dispatches from the front lines of the globalization debate» qui vient de paraître en anglais. Peut-être seront-ils alors comme moi, non pas déçus, mais surpris par la forme de ce nouveau livre rouge.
La première phrase de la préface nous prévient, «il ne s’agit pas de la suite de «No Logo», mais d’un compte-rendu de la mondialisation et de ses conséquences, «un guide de survie dans le monde économique actuel».
Naomi Klein, qui passe aujourd’hui pour une figure clé du courant antimondialisation (le Times de Londres dit qu’elle est «probablement la personne de moins de 35 ans la plus influente dans le monde»), admet en toute modestie qu’elle a soudain joué un rôle phare alors qu’elle venait à peine de débarquer dans ce mouvement sans grand bagage intellectuel.
Les textes – articles déjà parus, discours et textes inédits – qu’elle livre aujourd’hui constituent en quelque sorte le journal de bord de deux ans et demi (de fin 1999 à 2002) d’apprentissage sur le terrain. Des cartes postales de ses moments forts.
Partie d’un constat de quasi ignorance, Naomi Klein cherche à comprendre les vérités cyniques qui gouvernent le monde et que politiciens et économistes préféreraient que nous ignorions. Pour ce faire, elle ne va plus quitter la ligne de front de l’anti-mondialisation.
Ecrits le soir d’un grand rassemblement, les yeux encore irrités par les gaz lacrymogènes après une assemblée de quartier à Buenos Aires, dans un camping australien avec des activistes anti-nucléaire ou au lendemain du 11 septembre, ces coups de gueule policés constituent selon leur auteur «un rapport de ma propre courbe d’apprentissage».
«We know too much», menace-t-elle au terme de son périple initiatique dans 22 pays.
Convaincra-t-elle un Jean Chrétien qui, lors du sommet de Québec en 2001, accusait les manifestants de «protester et blablabla»?
«Ils viennent pour protester parce qu’ils en ont assez du blablabla», lui répond celle qui se présente désormais non plus comme une journaliste, mais comme «une activiste et une journaliste». Mais que faire de ce ras le bol?
Le choix des deux métaphores du titre, «Fences» (barrières, obstacles) et «Windows» (fenêtres, ouvertures), n’occulte pas les dilemmes à surmonter. Le mouvement pourra-t-il s’alimenter encore longtemps à l’idéalisme, sans cadre idéologique précis?
Lors du sommet de Porto Alegre, Naomi Klein a vu dans la coalition qui y était rassemblée «autant de chaos que de cohésion, autant de division que d’unité». Qu’a cela ne tienne, c’est là aussi qu’elle a fait sien le slogan «Un autre monde est possible» et pris conscience de «la fin de la fin de l’histoire».
Une histoire qui se poursuit avec un mouvement antimondiasliste qui n’est pas un «remake» de la contestation d’hier.
«Nous tentons de briser la pensée unique, nous ne pourrons y parvenir en prônant une autre forme de pensée uniforme, estime le Brésilien Atila Roque cité dans «Fences and Windows». La société civile ne doit pas s’organiser en un parti.»
Pour l’heure, ce mouvement, enfant de l’internet, a une structure semblable à celle du web. Son organisation anti-autoritaire en fait sa force, mais aussi sa faiblesse. Apprendre à «surfer sur les structures qui émergent organiquement» comme nous y invite Naomi Klein peut-il remplacer durablement la mise en œuvre d’une stratégie?
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**La journée sans achat a bien lieu samedi, et non pas vendredi. A acheter également (n’importe quand sauf samedi, donc), «Le guide du consommateur responsable» de Mylène Leroy (Marabout) qui permet de passer du rôle d’acheteur à celui de «consomm’acteur».
