TECHNOPHILE

L’appareil électronique qui traduit les aboiements

Le traducteur de langage canin arrive en Europe. Les spécialistes du comportement animal accueillent ce gadget avec un intérêt amusé.

L’appareil fait fureur au Japon et devrait apparaître sur les marchés européens dans le courant de l’année prochaine. En six semaines, ce traducteur de langage canin a déjà été vendu à 30 000 exemplaires dans l’archipel. Son fabricant, le géant du jouet Tanaka, s’est fixé un objectif de deux millions de ventes à l’étranger d’ici à mars 2004.

Bowlingual, c’est son nom, se compose d’un micro attaché au collier du chien qui capte et retransmet les aboiements à une petite console tenant dans la main de son propriétaire. La console compare ensuite les sons à des courbes préenregistrées et les classe selon six grandes catégories: frustration, menace, joie, chagrin, demande et expression libre. Au sein de ces catégories, des phrases reflétant l’état émotionnel de l’animal, comme «je suis triste», «j’en ai marre», «j’ai faim» ou encore «je vais exploser», s’affichent alors sur l’écran.

Pour mettre au point Bowlingual, les ingénieurs de Tanaka expliquent avoir travaillé avec une clinique vétérinaire et un laboratoire acoustique, lequel a développé un «système d’analyse des émotions animales» en appliquant les technologies de la reconnaissance vocale aux aboiements. D’après les chercheurs, l’invention est compatible avec plus de 50 races, allant du chihuahua au berger allemand. D’autres fonctions de l’appareil permettent de jauger l’état d’esprit général du chien. Le «journal ouah-ouah» effectue une synthèse des résultats quotidiens, tandis que le «baromètre de l’amitié» se prononce sur les sentiments de l’animal envers son maître…

L’arrivée de ce gadget est considérée avec amusement et scepticisme du côté des spécialistes du comportement animal. Colette Pillonel, vétérinaire-comportementaliste auprès de l’Office vétérinaire fédéral, souligne qu’il est de toute façon très difficile d’interpréter l’humeur d’un chien en se basant sur ses seuls aboiements. «Le langage du chien est extrêmement évolué, mais les vocalises n’en sont qu’une partie. Il communique surtout de manière visuelle et olfactive, par des postures, des mimiques, des odeurs, bref tout un catalogue d’expressions. En fait le chien peut dire beaucoup de choses sans émettre aucun son», explique-t-elle.

Les chercheurs de Phérosynthèse, laboratoire français spécialisé en éthologie (science des comportements animaux), estiment également qu’il existe un «langage chien» transcendant les races. Selon le chargé de recherches Emmanuel Gaultier, la démarche de Bowlingual n’est pas inintéressante en soi – toute prétention scientifique mise à part, et pour autant que l’on puisse s’appuyer sur un large échantillonnage.

«Très peu de recherches ont été effectuées dans ce domaine, mais une collègue américaine a ouvert la voie récemment lors d’un congrès. Elle se montrait très prudente quant à une possible interprétation humaine des vocalises canines», explique-t-il.

Le fabricant Tanaka déclare quant à lui vouloir «développer des jouets visant à améliorer la communication entre humains et animaux». Déclaration sibylline qui lui a valu de remporter cet automne le «Prix Ig Nobel de la Paix entre les espèces», une récompense humoristique attribuée depuis douze ans à Harvard par un groupe de scientifiques farceurs à des recherches «qui ne devraient pas être reproduites». Quant au magazine Time, il s’est apparemment laissé séduire par Bowlingual, qu’il a classé parmi les meilleures inventions de 2002.

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Domination du chien

Le Bowlingual pourrait avoir des conséquences paradoxales sur le rapport maître-chien. Les éthologues et comportementalistes, comme Colette Pillonel de l’Office vétérinaire fédéral, soulignent que le chien, très doué pour l’apprentissage, pourrait détourner cet appareil à son profit, en enseignant à son maître à lui obéir.

En d’autres termes, si le chien constate que le même aboiement – celui qui déclenche par exemple l’affichage de la phrase «j’ai faim» sur l’écran – produit le même effet, à savoir l’arrivée d’un bol de nourriture, le chien pourrait intentionnellement apprendre à répéter cet aboiement pour s’empiffrer à sa guise! Pour autant que son propriétaire soit dupe, bien sûr.

A terme, le gadget de Tanaka pourrait donc générer une situation d’arroseur arrosé dans le sens où, finalement, le chien se sert de l’appareil pour obtenir ce qu’il veut de son maître et le manipuler comme il lui plaît.

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Une version de cet article de Largeur.com a été publiée le 1 décembre 2002 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.

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