A New York, je fume (et je ne paye plus d’impôts)

J’habite Manhattan et oui, je l’avoue: j’aime la cigarette. Vous n’imaginez pas ce qu’on me fait subir.

J’ai vite su en m’installant à New York, à la vue de ces gens agglutinés au pied des immeubles commerciaux tirant avidement sur leur cigarette comme si c’était la dernière, que je ferais partie d’une espèce menacée de disparition.

Les entreprises ont banni la fumée non seulement de leurs bureaux, mais de l’ensemble de leurs locaux. Vous chercherez en vain une cafeteria, un balcon, un cagibi pour fumeurs. Rien. A part le trottoir. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Je me suis habituée.

Parce que oui, je suis fumeuse. Invétérée même, malgré une tentative de sevrage avortée après trois mois en 1999. Et je me suis plutôt bien adaptée à ces espaces «smoke free»: les gares, les postes, les trains, les aéroports (avec plus de peine il est vrai) et même mon propre bureau, occupé pourtant par des journalistes européens, où nous avons convenu de n’autoriser la clope que sur la terrasse.

Je connais par cœur la liste des aéroports qui ont encore un bar fumeur (celui du nouveau terminal d’American Airlines à JFK est le plus accueillant), ceux qui n’ont qu’une cage de verre immonde à offrir (A Dulles Washington International, elle se trouve au bout du terminal B), et ceux qui n’ont tout simplement pas de coin fumeur (Saint Louis, Missouri).

Quand l’ancien maire Rudolph Giuliani a limité la clope dans les seuls restos de moins de 35 places, j’ai changé mes habitudes. A contrecoeur souvent. Car je n’arrive toujours pas à apprécier pleinement un repas si je ne peux pas en griller une après. Je pourrais écrire un guide pour fumeurs new-yorkais, tant ma liste des endroits « smokers welcome » est à jour.

Et si j’ai souvent pesté contre ces restrictions, je n’en ai pas moins continué à défendre le droit des non-fumeurs à un environnement sans fumée. En Europe surtout, où je commence à trouver que ça pue décidément trop la cigarette.

Mais cette fois, l’actuel maire de New York, Michael Bloomberg, ex-fumeur pourtant, va trop loin.

Déjà que certaines entreprises new-yorkaises, comme Universal, ont banni la cigarette de leur bout de trottoir (authentique), voilà que le maire va l’interdire dans tous les restaurants, les bars, les boîtes et les salles de billard.

Après d’âpres négociations, le conseil municipal a obtenu quelques dérogations, mais si restrictives qu’elles ne changeront rien sur le fond. Les fumeurs n’auront plus qu’à se battre pour entrer dans les sept – oui, sept — bars à cigares encore tolérés et les éventuelles cages à fumée que les restaurateurs voudront bien construire à l’intérieur de leur établissement.

Pire. Le maire ne veut pas en rester là. Il souhaiterait à terme imiter certaines communes de la Côte Ouest en interdisant la clope dans les espaces publics en plein air, plages comprises!

Dans ce pays qui peut se targuer d’être le premier pollueur du monde, et où ce triste constat n’affecte que le plus petit nombre, on m’accuse de polluer l’air. Et cela au moment même où la Maison Blanche vient d’alléger les contraintes antipollution aux entreprises. A ce stade, je ne cautionne plus.

Je cautionne d’autant moins depuis le dernier coup bas de Bloomberg, qui a augmenté l’impôt sur le tabac en faisant passer le prix du paquet à 7,50$ (11, 20 francs suisses) l’été dernier.

Prix prohibitif et antisocial. C’est quand je me suis entendue refuser une cigarette à un charmant inconnu dans la rue que j’ai décidé de combattre les lubies du maire. Pas question de le laisser impunément briser la naturelle solidarité des fumeurs. Dorénavant, je ne payerai plus l’impôt sur un vice-plaisir que j’assume.

J’ai d’abord repéré les promos «trois paquets pour deux» comme les yaourts en promotion. J’ai ensuite multiplié les astuces pour diminuer ma charge fiscale en faisant le plein de cartouches dans les boutiques tax-free des aéroports au mépris des restrictions douanières ou lors de mes déplacements dans des Etats moins excessifs dans leur ponction fiscale.

Mais récemment, j’ai trouvé la parade grâce aux conseils d’un ami plus averti. Je commande désormais mes cigarettes sur internet dans des réserves indiennes, exemptées d’impôts sur le tabac et l’alcool. Le paquet me revient à 3 dollars (4,50 francs suisses) et je ne verse plus un cent à la ville.

Surtout, je ne me prive plus du plaisir de ces rencontres fortuites autour d’une cigarette demandée ou offerte par des inconnus.