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L’année 2002 de tous les mensonges

Des Etats-Unis à la Chine en passant par la Russie, les gouvernants se complaisent dans l’art du double-langage. Heureusement qu’il y a, en France, le débat sur les néo-réacs.

L’année 2002 qui s’annonçait sous le signe divertissant du palindrome s’achève, hélas! comme elle a commencé, dans la confusion. Bien malin qui pourrait en réfléchissant aux thèmes qui ont dominé cette deuxième année du troisième millénaire en tirer des lignes directrices pour le futur, si ce n’est la prolifération de la violence.

Une violence de plus en plus évidente dans les rapports de force politiques, dans la désintégration des vieilles structures sociales sous les coups répétés de l’ultralibéralisme et de la globalisation, dans la vie quotidienne de chacun où le «struggle for life» impose des contraintes et des engagements inouïs juste pour avoir le droit de gagner sa croûte.

Ces tensions, omniprésentes, envahissent inexorablement l’espace public et l’espace privé, à tel point que l’on se surprend de plus en plus souvent à se demander quand cela explosera.

Cette interrogation est récurrente depuis le début de l’année à propos de l’Irak. Elle l’est aussi dans le champ social (emploi, assurances maladies, retraites) avec une vigueur qui ne peut que rappeler les sinistres années 1930. Ce n’est pas un hasard si la paix du travail qui date de ces années-là est remise en cause, si de grandes entreprises (Veillon, La Poste) sont contraintes d’effectuer, en hâte et dans le désordre, des replis tactiques pour éviter des grèves.

Je vois à cela une seule et même origine: le manque de transparence, cet euphémisme lénifiant qui ne sert en vérité qu’à masquer le recours systématique au mensonge dans l’art de gouverner les peuples et les individus.

Alors que les moyens d’information n’ont jamais été aussi répandus et accessibles, alors que la scolarisation est partout en progression, alors que le niveau culturel est en hausse constante (effet bénéfique d’une globalisation qui n’a pas que des défauts!), les gouvernants se complaisent dans la pratique à vrai dire démoniaque du double langage: arborant fièrement la règle du «parler vrai» conformément à l’idéologie du politiquement correct, ils se permettent de mentir sans vergogne à longueur de journée.

Oyez Bush, héraut d’une Amérique conservatrice et réactionnaire. Hier encore, il paradait devant les caméras pour annoncer le déploiement de son système de défense antimissile répondait au défi lancé par le terrorisme international et les Etats voyous. Faut-il rappeler que les détourneurs d’avions du 11 septembre 2001 utilisèrent de simples cutters? Par contre l’injection de quelques centaines de milliards de dollars dans l’économie de guerre américaine pourrait stimuler une croissance qui se fait toujours désirer

Oyez Poutine, le mutant du KGB et des services spéciaux russes. Hier encore, dialoguant avec quelques-uns de ses administrés, il prétendait que les choses vont beaucoup mieux et que le niveau de vie augmente alors que tous les témoignages persistent à décrire une Russie profonde sombrant dans la pauvreté, la violence et l’anarchie. Même la guerre de Tchétchénie que le régime entretient avec une sollicitude morbide ne parvient plus à jouer son rôle de dérivatif.

Oyez Jiang Zemin, despote chinois en voie de retraite. En novembre, au nom du socialisme victorieux, il faisait admettre par le parti communiste une ligne politique ultralibérale qui va plonger des dizaines de millions de Chinois dans une misère noire, sans aucun recours possible à des infrastructures sociales et sanitaires inexistantes dans les campagnes visées par la modernisation.

Arrêtons-nous là: la liste est si longue qu’elle finirait par lasser.

Mais, si le mensonge s’est imposé comme système de gouvernement dominant en cette année 2002, à quand l’heure de vérité?

Nous avons déjà quelques précieuses indications. La leçon française par exemple est à méditer. On sait aujourd’hui que si Jospin ne s’était pas fait une grosse tête au cours des derniers mois précédant la présidentielle, il aurait pu percevoir la montée de Le Pen qui était connue de certains analystes et, en conséquence, corriger le tir en freinant les candidatures de gauche.

Par bonheur, il ne l’a pas fait, son échec provoquant ainsi une crise profonde non seulement dans la gauche mais aussi dans l’intelligentsia. Le débat sur les nouveaux réactionnaires alimente enfin une réflexion qui n’a plus été sollicitée depuis le virage à droite des anciens maoïstes (BHL, Glucksmann, etc.) à la fin des années 70.

La gauche traditionnelle ayant fait la preuve pendant deux décennies qu’elle n’avait pas de capacités innovantes et vraiment réformatrices, il est permis d’espérer. L’Allemagne, maintenant que Schröder est pris la main dans son sac de mensonges préélectoraux, devra faire de même.

Les gauches espagnoles et italiennes savent déjà qu’il leur est désormais interdit de prétendre au pouvoir pour faire, comme toujours, une politique de droite. Toutes ces forces en ébullition dans des marmites aux couvercles solidement fermés vont nécessairement accoucher d’idées nouvelles. Ce sera peut-être long et douloureux, mais c’est inéluctable.

A droite, le terme le plus immédiat est celui que Bush s’est posé de lui-même: le défi à Saddam. S’il fait la guerre (ce qui semble moins certain ces tout derniers jours), il va déclencher des séismes dont les plaques tectoniques israéliennes, arabes, turques, kurdes, iraniennes vont s’entrechoquer derrière le fracas des bombardements sans qu’il soit possible de prévoir lesquelles seront ébréchées.

S’il ne fait rien, il coulera à pic avec tous les passagers patibulaires de sa folle croisière. Et les Américains pourront peut-être passer aux choses sérieuses.