LATITUDES

Choses vues au Musée du Sexe

Entre gorges profondes et pénis momifié, le tout nouveau Museum of Sex de New York propose une approche finalement peu sensuelle de l’histoire érotique américaine.

Dan Gluck rêve d’en faire le MoMa du sexe, un endroit qui «raconte la signification du sexe dans l’art, la culture et les sciences humaines».

Pari ambitieux. Après plusieurs reports, le Museum of Sex, déjà rebaptisé MoSex, a ouvert ses portes cet automne sur la 5e Avenue à l’angle de la 27e rue à Manhattan.

Malgré les pompeuses tirades de Dan Gluck, c’est avec un a priori positif que je suis allée visiter ce musée consacré à un sujet encore si tabou aux Etats-Unis. Avant même de passer la porte d’entrée, j’ai eu mes premiers doutes. Je n’ai pas aimé ces grandes vitrines au verre opaque et à l’aspect trop clinique.

Je n’attendais pas forcément les lanternes rouges de quartiers chauds ou une devanture remplie de dessous affriolants, mais un signe, un objet, une photo suggestive. Heureusement, les toiles de spandex qui recouvrent les échafaudages entourant la façade à la manière d’un corset (Dan Gluck évoque prosaïquement une «cage thoracique») sauve l’entrée de son austérité. Mais l’échafaudage sera bientôt démonté.

A l’intérieur, même froideur aseptisée. Premier passage obligé: la boutique. Hormis quelques ouvrages historiques et des livres de photos, rien n’éveille l’esprit et surtout les sens. Nulle trace d’humour non plus. J’avais imaginé des objets érotiques et inattendus, un baise-en-ville coquin, des kamasutra richement illustrés. Je suis restée sur ma faim.

L’exposition d’ouverture «Comment New York a transformé le sexe en Amérique» s’ouvre sur une statue de femme couchée dans un bain de lumière qui se transformera par un subtil jeu d’éclairages en bain de sang. On apprend qu’il s’agit de Helen Jewett, une prostituée dont le meurtre en 1836 avait été l’un des premiers scandales sexuels de la ville. Le ton est donné: vice et répression.

Sur deux étages, l’expo passe en revue deux siècles d’histoire sexuelle, sous les prismes de la censure et de l’excès. Comme si ces pôles symbolisaient à eux seuls le sexe en Amérique. Entre puritains et libertins.

Assurément, l’inventaire du MoSex offre des pièces rares, tel ce pénis momifié, ces boites en fer blanc pour condoms datant des années 30 ou les Tijuana Bibles, ces bandes dessinées présentant des célébrités dans des positions que la morale réprouve. On y voit ainsi un Clark Gable, pantalons aux chevilles, culbutant une admiratrice dans un compartiment de train.

Malgré du matériel de grande valeur (l’Institut Kinsey, parmi d’autres, a ouvert ses archives), cette première expo du MoSex ne convainc pas. Le sexe n’y est vu que par les scandales qu’il a suscités. Jamais sous un angle plus intimiste ou psychologique. Pour éviter le rébarbatif, Dan Gluck et ses curateurs ont certes intégré des éléments plus charnels. Dommage qu’ils n’aient retenu pour cela que le porno.

Surprise tout de même des visiteurs qui se retrouvent devant les projections géantes de courts métrages en noir et blanc du début du siècle, les «stag films» qui avaient déjà épuisé le genre par la diversité de leurs scénario.

«C’est toujours là qu’il y a des bouchons», m’explique le gardien. Embouteillages encore devant les écrans de TV qui diffusent «Gorge profonde», considéré dans les années 70 comme le premier film porno assumé et qui fut surtout le premier hit commercial d’une industrie qui délaissera New York quand la Californie se fera plus clémente juridiquement.

La réponse des féministes contre la dégradation de l’image de la femme figure en bonne place dans ce volet de l’exposition. Avec à leur tête Linda Lovelace, dont la gorge fut précisément le théâtre de ces orgies cinématographiques et qui raconte comment, dans chacune des scènes, elle fut forcée et violée.

Air du temps oblige, l’exposition se termine cliniquement sur les années sida. Seuls les petits parloirs du sexe, à la sortie, aiguisent un peu les sens. Dans ces alcôves, le visiteur qui doit se tenir debout et seul, vu l’étroitesse de l’endroit (je suggère à Dan Gluck d’y installer de confortables fauteuils pour deux), peut surfer sur le site du musée www.museumofsex.com et se délecter à la lecture des 1001 nuits de Manhattan, des récits érotiques, parfois scabreux, mais toujours très suggestifs, épinglés par des visiteurs avant lui.

Une invite surtout à faire de même. Dommage qu’il faille attendre les contributions généreuses des visiteurs pour lire enfin les mots érotisme, désir, zones érogènes, fantasmes, plaisir. Dan Gluck promet une nouvelle expo l’an prochain sur l’Extrême Orient où il sera question de pieds bandés chinois… entre autres. On lui souhaite surtout d’être plus sensuel et moins académique.