Davos, quelles perspectives? Au-delà du tintamarre provoqué par le choc entre les antimondialistes et les services de sécurité suisses — aussi carrés et peu inventifs les uns que les autres dans leur approche de l’événement –, il est difficile de ne pas ressentir un profond malaise à quelques jours de l’ouverture de la grande foire politico-économico-médiatique grisonne.
L’incessant ballet des hélicoptères pour VIP, le tournoiement des nuées de photographes, cameramen, journalistes à l’affût du bon coup, la mine satisfaite et souriante des héros du jour cachent mal la dure réalité du moment: le forum tourne en rond, comme la planète qu’il est censé orienter.
Le constat n’est pas nouveau, me direz-vous, il a déjà été dressé l’an dernier par les politiciens et les politologues à l’occasion du déplacement des assises du WEF à New York. C’est oublier qu’au lendemain du 11 septembre 2001, l’événement suscitait malgré tout une grosse attente. Il s’agissait alors de savoir si le monde des affaires allait pouvoir dégager les axes porteurs d’une réplique à l’attentat inouï réalisé contre son symbole n° 1: les tours du World Trade Center.
Nous avons vu, nous avons même été gâtés. La nouvelle économie a continué de piquer du nez et l’ancienne, celle des Enron et autres Swissair, s’est révélée gangrenée par ce qu’il y a de pire en ce domaine, la corruption, la fraude, les faux bilans, l’enrichissement illicite, l’amoralité la plus totale – insupportable même au plus cynique des traders parce qu’elle finit par saper les bases nécessaires à son activité.
Cette année, le WEF s’est fixé comme objectif de «rétablir la confiance». Bonne chance! Mais quiconque a vu de ses yeux la prestation de son directeur André Schneider devant les caméras de Mise au point dimanche dernier ne peut que nourrir les plus grands doutes sur les capacités du WEF à ne faire ne serait-ce que quelques pas vers le rétablissement de cette confiance.
Poussé dans les cordes par les questions courtoises mais d’une impertinence souriante de Patrick Fischer, le brave homme a révélé sa nature, celle d’un bureaucrate certainement doué pour régler au millimètre près les rencontres des personnalités qu’il s’apprêtait à accueillir, mais par ailleurs incapable de répondre à une seule question de fond. Il était semble-t-il joueur de tuba avant d’accéder à ces hautes fonctions. Dans un orchestre, le joueur de tuba est l’un des musiciens les plus éloignés du chef: il n’est pas facile pour lui de se hisser au pupitre!
En réalité, tout indique que, dans la forme de rendez-vous politico-économique qu’il a prise depuis une dizaine d’années, le WEF est condamné. Son existence, la souplesse même de son organisation fut très utile au début des années 1990 pour offrir aux acteurs d’un monde désarticulé par l’effondrement du communisme un lieu de rencontre et de négociation informelles.
Ce temps est révolu. En cela, le sort du WEF rappelle celui d’une organisation qui eut son heure de gloire à la fin des années 1970, la Commission trilatérale. Fondée par David Rockefeller, en 1972, (l’année même où Klaus Schwab fondait le WEF!), la Trilatérale fut dirigée par des hommes tels que le républicain Henry Kissinger et le démocrate Zbigniew Brzezinski.
C’était une organisation privée composée de quelques dizaines de membres seulement dont l’objectif était de mettre en évidence et de développer l’interdépendance des économies américaine, européenne et japonaise.
Les premiers balbutiements de la mondialisation issue du premier choc pétrolier en quelque sorte. Elle réussit un coup d’éclat en ouvrant la voie de la Maison Blanche à Jimmy Carter. A l’époque, chacune de ses réunions suscitait l’opposition vigoureuse de tout ce que la planète comptait de tiers-mondistes décidés à voir en elle une manière de gouvernement mondial échappant à tout contrôle démocratique.
Le boom économique des années 80 renvoya la Trilatérale à l’ambiance feutrée des palaces et lui rendit la discrétion qu’elle n’eût jamais voulu quitter. Elle ronronne toujours sans que personne ne s’en inquiète.
Gageons que sous peu le WEF prendra le même chemin.