Remake d’un film culte japonais, «Le Cercle» de Gore Verbinski s’inscrit dans une problématique très contemporaine: la contamination du réel par les images. Pas mal du tout.
Allez ouste! Loin du bal, tous ces détracteurs du remake, ces amoureux maniaques du film culte qui ne jurent que par l’œuvre originale!
«Le Cercle» de Gore Verbinski mérite d’être vu pour ce qu’il est, un thriller malin et horrifiant, à la mise en scène élégante et au suspens tendu jusqu’à l’ultime rebondissement. Il n’a pas besoin d’être comparé à «The Ring» (1998) du Japonais Hideo Nakata, lui-même adapté du best seller de Kôji Suzuki (1991), pour trouver sa place dans le film d’horreur fantastique haut de gamme, aux côtés de «Sixième sens» et de «Les Autres».
Moins suggestif et inventif que les deux précités, «Le Cercle» s’inscrit en revanche dans une problématique très contemporaine: la contamination du réel par les images.
Pour la journaliste Rachel Keller (Naomi Watts, vue et aimée dans «Mulholland Drive» de Lynch), l’énigme commence avec la mort brutale et mystérieuse de sa nièce. Sa disparition serait-elle liée au visionnement d’une cassette dont une légende urbaine dit qu’elle condamne à périr dans les sept jours quiconque la regarde?
Pour le savoir, la cartésienne Rachel se lance à la recherche de la cassette, la trouve, la visionne et reçoit un appel téléphonique l’informant qu’il ne lui reste plus que sept jours à vivre. Sept jours pour résoudre l’énigme de ces images sans origine ni paternité. Le compte à rebours est lancé, rendu encore plus impérieux depuis que le fils de Rachel a été à son tour contaminé par ce qu’il a vu.
La bonne idée de Gore Verbinski, c’est de nous montrer in extenso le film incriminé; on le découvre en même temps que Rachel et, comme elle, on se demande en quoi ces images en noir et blanc, inspirées du «Chien andalou» de Bunuel et d’«Eraserhead» de Lynch, pourraient être nocives, comment elles peuvent entraîner la mort.
Qu’y voit-on? Un cercle lumineux, une échelle géante, des doigts coupés qui marchent dans une boîte, une adolescente dont le visage est caché par de longs cheveux noirs, une chaise vide, une femme qui se brosse les cheveux devant le miroir, des chevaux morts sur la plage, une femme qui se jette du haut des falaises, un arbre au sommet d’une colline, un homme derrière une fenêtre etc. Sorti de son contexte, cette vidéo pourrait s’apparenter à un film expérimental, de ceux qui tapissent les murs des musées d’art contemporain et que programme Arte.
Est-ce à dire que le cinéma d’art et d’essai est à périr d’ennui, qu’il est un pousse-au-crime? Non, «Le Cercle» n’est pas un film anti-intellectuel; il souffrirait même plutôt du complexe inverse — d’où les multiples références cinéphiles de Verbinski, qui s’applique à montrer qu’il n’est pas seulement l’homme du «Mexicain» et de «La Souris».
Ces images, intrigantes dans leur juxtaposition, inquiétantes dans leur funeste tranquillité, ne sont angoissantes qu’aux yeux de ceux qui se laissent fasciner et abuser par leur mystère. Une image reste une image: il suffit de la décoder pour le savoir.
Ce que fait Rachel avec détermination: copier le film, le repasser image par image, agrandir certains éléments, les mettre en rapport, reconstituer les hors champ, comparer, couper, coller, puis aller vérifier sur place, faire l’épreuve du réel.
Rachel reste vivante dans un monde de moribonds parce qu’elle refuse de se soumettre à la loi hypnotique des images. Une scène d’ailleurs suffit à justifier l’autonomie du remake, celle où la journaliste observe de son balcon les appartements d’en face et les gens, tristes, infirmes, dépressifs, collés à leur écran de TV.
Cette méfiance à l’égard des images, cet appel à rester vigilent, rationnel, maître de ce que l’on voit, n’est pas a priori le message délivré par Hollywood. A ce titre, «Le Cercle» est un film paradoxal, esthétiquement très américanisé par rapport à l’original, mais de mentalité assez peu yankee.
Cela est vrai aussi de la manière dont il traite la famille, toute sauf idyllique: les pères ont peur de leur paternité ou la refusent, les mères tuent leurs enfants ou les délaissent (Rachel est adorable, mais pas précisément ce qu’on appelle une bonne mère) et les enfants, inquiétants et rancuniers, sont plus à l’aise avec la mort qu’avec la vie. Pas très hollywoodien non plus le faux happy end qui ouvre la porte à une suite déjà en préparation.
Bien sûr, on peut regretter que l’intrigue ne tienne pas complètement debout et que le suspense soit trop souvent relancé par des effets dramatiques artificiels – et, pour les puristes, que ce remake soit plus un démarquage de «The Ring» qu’une réinterprétation — mais dans l’ensemble «Le Cercle» tient ses promesses de film d’épouvante de qualité.
Comme sur le grand huit, on le sent passer dans le ventre, on regarde certaines scènes les doigts sur les yeux, on est bluffé par les rebondissements, bref «Le Cercle» travaille habilement le sentiment d’effroi et convoque les grandes figures du cauchemar (vertige, abandon, asphyxie, corps étranger à l’intérieur de soi, peur de l’ogre, puissance des morts, etc.) avec une certaine élégance. A l’image de la scène paniquante du cheval fou, scène qui laisse supposer que Gore Verbinski vaut mieux effectivement que son «Mexicain» et que sa «Souris».
