L’ironie de l’histoire, encore une fois. J’apprends que le magazine Wired célèbre ces jours-ci son dixième anniversaire. Dix ans? Je me souviens encore du choc du premier numéro, une «premiere issue» que j’ai dû garder quelque part sur une bibliothèque de Largeur.com.
Je la retrouve ce matin et… vertige. J’avais oublié que cette première cover-story aux couleurs fluo était consacrée à «The Future of War». Un article de Bruce Sterling sur les armes intelligentes, la connexion du champ de bataille, le futur arsenal électronique américain. Avec une question en sous-titre: «Cette stratégie est-elle efficace ? Demandez aux Irakiens».
C’était le 21 mars 1993. L’écrivain cyberpunk racontait comment la guerre allait se transformer en jeu vidéo.
Et nous voici dix ans plus tard, à l’aube d’un nouveau conflit que l’armée américaine veut gérer par FBCB2. Vous ne connaissez pas FBCB2? C’est l’arme secrète des Américains, un système informatique de localisation GPS qui équipe tous les véhicules de guerre envoyés en Irak. Coût global du dispositif: 800 millions de dollars.
Baptisé «Force XXI Battle Command, Brigade and Below» (FBCB2) et surnommé «tactical internet» par les troupes, ce système s’est avéré très performant lors de béta-tests effectués en Bosnie. Dans quelques jours, il permettra aux soldats américains et anglais de se déplacer dans ce qu’on appelle une «réalité augmentée».
Cet exemple illustre bien les talents prospectifs de Wired. Dans le premier numéro, on trouvait aussi un portrait de Camille Paglia, un article sur les hackers de téléphones mobiles ainsi qu’un éditorial qui disait ceci: «Wired parle des humains les plus puissants de la planète: la génération numérique. Ces gens n’ont pas seulement prévu comment la convergence des ordinateurs, des télécommunications et des média va transformer la vie au tournant du millenium: ils font en sorte que ça se passe.»
Dix ans. Cela fait donc dix ans que ce magazine californien raconte l’évolution technologique, les nouveaux modes de vie et les avancées de la science. Chaque mois, il continue à offrir à ses lecteurs une vitrine des innovations et un avant-goût du futur.
Mais malgré toutes les compétences prospectives réunies par Wired, le futur a bien changé depuis ce printemps 1993 où le premier numéro sortait de presse. A l’époque, on était encore loin d’imaginer l’importance qu’allait prendre la téléphonie mobile. Les câbles de connexion et les branchements physiques étaient alors très à la mode, d’où le nom du magazine, qui signifie «branché par du fil électrique». Wired a gardé son titre, même si l’avenir des télécoms appartient désormais largement au sans-fil.
Dès son lancement, Wired est devenu le porte-drapeau de la génération internet. Il fut le premier, par exemple, à ouvrir son courrier des lecteurs aux messages électroniques, le premier à publier des adresses web en relation avec ses articles et ses annonceurs. Quant à son site, wired.com, il est devenu progressivement un point de passage obligé pour les technophiles.
Dans le mensuel, l’approche très sociétale choisie par Louis Rossetto et Jane Metcalfe a constitué à la fois un avantage et un inconvénient. Avantage parce les articles de Wired s’adressaient à tout le monde, de manière ouverte et pédagogique. Mais cette ouverture s’est aussi révélée un inconvénient économique. Les annonceurs auraient préféré disposer d’une revue spécialisée, destinée aux décideurs et aux businessman. Le magazine n’a pas gagné autant d’argent qu’il l’aurait pu.
C’est pour cela que l’un des fondateurs de Wired, John Battelle, a pris le risque au milieu des années 90 de tenter une nouvelle aventure en lançant The Industry Standard, un hebdomadaire destiné aux acteurs de la Nouvelle économie. La réussite a été immédiate et météorique: l’Industry Standard a engrangé beaucoup d’argent en deux ans, mais il a dû fermer ses portes dès l’éclatement de la bulle.
Quant à Wired, il a suivi tranquillement deux chemins parallèles. Le mensuel imprimé à été vendu au groupe Condé Nast, qui le gère encore aujourd’hui, tandis que les opérations en ligne ont été cédées à Lycos. Le projet initial a donc perdu son indépendance, mais il a survécu à la Nouvelle économie. Et le drapeau pirate flotte encore au dessus de l’ancien entrepôt de Third Street, à San Francisco, où la rédaction est installée.
Dix ans après son lancement, Wired tient encore bien la route. Les sujets que vous trouverez dans le numéro actuel devraient encore trouver un écho dans l’actualité de mars 2113.