Des nymphettes en string, mais très pudiques. Et des quinquagénaires plutôt exhibitionnistes. Le moment est venu de corriger vos clichés sur la pudeur.
C’est une piscine romande standard avec ses rituels. Dès l’ouverture, le bassin est pris d’assaut par un groupe de ménagères de plus de cinquante ans. Elles barbotent, bavardent, commentent l’arrivée d’un groupe d’adolescentes.
«Non mais vous avez vu ces tenues!», «…je suis pourtant féministe, mais je ne peux m’empêcher d’y voir de la provocation…», «..mes petites filles sont trop jeunes pour décider de leurs vêtements, j’espère bien ne jamais les voir aussi aguicheuses…».
Les nymphettes défilent, nombril à l’air, minijupées et stringuées. Mais surprise, elles boudent le vestiaire commun et se ruent sur les cabines. Non, ces adolescentes dont on dit qu’elles s’exhibent sans la moindre gêne ne se déshabillent pas avec désinvolture.
Elles n’ont pas honte de leur corps, ni peur du jugement d’autrui, mais elles n’aiment pas que leurs copines les voient nues. Elles évitent de tout révéler. Certes, seuls quelques centimètres carrés d’étoffe font barrage à la nudité. Ils sont d’autant plus stratégiques!

Le gardien confirme. «Avant, les personnes d’un certain âge se rechangeaient en cabine, ainsi que quelques jeunes filles coincées qui suscitaient des commentaires de leurs camarades. Maintenant c’est l’inverse. C’est les jeunes qui débarquent souvent très dévêtues et qui cherchent l’intimité.»
Les dames barboteuses ont quitté le bassin. Elles s’installent dans un angle bien doté en bancs. Tranquillement, elles se sèchent. Tombe le haut que l’on rhabille sans hâte. Puis, pareil avec le bas. Un striptease en deux étapes!
Dans l’eau, c’est au tour des nymphettes d’y aller de leurs commentaires. «T’as vu ça?», «…on n’a pas demandé à voir!», «… si un jour j’ai des seins pareils, pas question que je les déballe en public…», «…heureusement qu’il n’y a pas ma mère, ce serait la honte!»
Au nom de la liberté sexuelle, dans les années 70, le droit de préserver son corps du regard des autres avait été en quelque sorte soustrait. Aujourd’hui, les jeunes filles se le réapproprient. «La pudeur, c’est aussi le privilège de ne pas s’exhiber. Il était temps…», se réjouit la sociologue québécoise Elaine Taylor.
Mais si une certaine pudeur corporelle semble de retour, il suffit de tendre l’oreille dans les cabines pour s’apercevoir que du côté du langage, la pudibonderie ne guette pas. Inscrits par des mains féminines, les «salope», «conne» ou «pute» se taillent la part du lion parmi les innombrables graffitis qui étaient hier encore réservés aux WC hommes. Une seule insulte s’adresse à un mâle.
