TECHNOPHILE

Un cyber-activiste enflamme Swisscom et la justice vaudoise

Le webmaster Gerhard Ulrich provoque une embrouille entre les fournisseurs d’accès et la justice vaudoise. Il ne profitera pas du spectacle: il est en prison pour avoir bouté le feu à sa maison.

En mettant le feu au domicile de son ex-épouse la semaine dernière, Gerhard Ulrich a réussi à refaire parler de lui dans les médias, en attendant les tribunaux. Cet employé de Poste à la veille de la retraite est le principal animateur de l’association Appel au Peuple. Cette dernière s’était attiré les foudres de la justice vaudoise en décembre 2002 en refusant de retirer de son site des propos estimés diffamants par un ordre judiciaire dont Gerhard Ulrich ne cesse de dénoncer la prétendue corruption.

C’est emporté avec la même fougue dans son divorce raté qu’il a tenté vendredi dernier de bouter le feu à l’ex-domicile conjugal avant de se rendre aux forces de l’ordre. Il n’y a eu que des dégâts matériels, heureusement, et Ulrich est en prison.

Cet épisode tragicomique n’a rien à voir avec le combat juridique qui l’oppose à une juge lausannoise. Comme le rapportait Largeur.com en février, les fournisseurs d’accès suisses ont été forcés par la justice — une première — d’interdire l’accès au site de l’association de Gerhard Ulrich. L’affaire prend désormais une tournure qui rappelle de très mauvais souvenirs à Swisscom. Explications.

Incapable de couper le site que le malin hébergeait dans le monde entier, de la Hollande à la Thaïlande, la juge vaudoise en charge de l’enquête, Françoise Dessaux, s’était lancée en décembre dans une procédure sans précédent: elle avait ordonné aux fournisseurs d’accès suisses d’en empêcher l’accès à leurs clients.

Problème: un recours des fournisseurs contre cette décision a été assez rapidement validé par le Tribunal d’accusation vaudois: «Les bases légales mentionnées dans cette décision n’étaient pas adaptées, explique le juge Eric Cottier. Même si une réaction se justifiait.»

La juge vaudoise n’a bien sûr pas voulu en rester là. «Nous avons reçu peu après une lettre de la juge Dessaux expliquant que si nous renoncions à bloquer le site, les directeurs de Bluewin et de Swisscom Enterprise Solutions risquaient d’être poursuivis pour complicité», raconte Christian Neuhaus, porte parole de Swisscom.

Cette menace se base sur un jugement célèbre du Tribunal fédéral qui avait condamné les PTT pour avoir continué de rendre accessible les services de télékiosque 156 aux mineurs de moins de seize ans malgré les avertissements du ministère public vaudois.

L’argument rappelle donc à l’ancienne régie l’expérience douloureuse de 1995 qui avait mené à la démission de son directeur. Pour éviter le pire, Swisscom a préventivement demandé un avis de droit à un avocat lausannois. En l’absence de loi claire définissant la responsabilité pénale des fournisseurs d’accès, il est communément admis que les fournisseurs doivent obtempérer avec la justice si une demande d’interdiction leur parvient.

Juridiquement, les fournisseurs ont donc de bonne raison d’être inquiets. Ils critiquent cependant la difficulté d’appliquer une telle mesure d’interdiction, son efficacité limitée et la lourdeur de tout le processus. «Nous avons tenté de prendre contact avec la juge Dessaux pour lui proposer une visite de nos installations et une démonstration technique. Elle n’a malheureusement pas répondu à notre invitation», regrette Christian Neuhaus.

Françoise Dessaux s’étonne de ces propos et reconnaît les difficultés techniques que cette mesure impose aux providers: «Depuis le temps qu’on en parle, il devient urgent de régler le fond de la question. On ne va pas demander aux providers de faire la police, mais le moment est venu de poser la limite.»

Si plusieurs fournisseurs d’accès, comme Init7 ou Profitel, persistent à ne pas donner suites aux injonctions vaudoises, l’affaire pourrait bien déboucher sur une décision du Tribunal fédéral, qui aurait le mérite de clarifier leurs responsabilités. D’ici là, Gerhard Ulrich aura encore l’occasion de faire parler de lui.