La répression automobile se durcit dans les pays limitrophes. Que risquent les Suisses qui roulent trop vite à l’étranger? Enquête.
A peine passé la frontière, les Suisses adorent enfoncer le champignon. C’est bien sûr dangereux, mais pas seulement en matière de sécurité routière. «Il y a quelques années, la Suisse était un îlot de répression dans une Europe plutôt laxiste en matière d’excès de vitesse, constate Patrick Dorner, responsable de l’assistance juridique Assista à l’étranger. Les choses ont bien changé et les réglementations se sont durcies chez nos voisins. Les polices étrangères ne peuvent pas retirer des points qui n’existent pas sur nos permis. Mais, en plus des amendes, elles peuvent prononcer une interdiction de circuler de plusieurs mois dans le pays.»
Il arrive que les polices transmettent leur décision aux autorités suisses. Ensuite, le service des automobiles concerné peut sanctionner le conducteur suisse d’un avertissement, voire d’un retrait. Une jurisprudence empêche cependant les Suisses d’appliquer des barèmes plus sévères que leurs homologues étrangers. Ainsi, si la police allemande estime que l’excès de vitesse mérite une soustraction de quelques points, la Suisse ne peut pas aller au-delà en prononçant un retrait, par exemple. Côté finance, les autorités suisses, qui ne peuvent pas amender le conducteur une seconde fois, se consolent en lui administrant des «frais de procédure», généralement une centaine de francs…
Les polices ne transmettent pas forcément les dossiers en Suisse car cela leur donne du travail sans remplir leurs caisses. Les données sont empiriques: selon Patrick Dorner, «les Allemands et les Autrichiens le font toujours, les Italiens rarement et les Français presque jamais.»
En France, les effets de la politique répressive du gouvernement Raffarin se font sentir sur la route. «Le changement le plus notable vient de l’interdiction immédiate de circuler, explique Christine Cervera-Khelifi, avocate parisienne, en charge du site Automobilistes.com. Avec les nouvelles lois, si le conducteur est flashé à plus de 180 km/h, les gendarmes peuvent l’empêcher sur le champ de reprendre le volant, qu’il soit étranger ou français.» Généralement, les gendarmes français ne vont pas jusque là et demandent seulement une caution à payer sur place.
Afin d’encaisser un maximum d’argent, la police française procède de plus en plus à des interpellations immédiates, c’est-à-dire que les gendarmes flashent l’automobiliste avec un radar ou un pistolet laser et l’arrêtent un peu plus loin, à un péage ou en envoyant un motard à sa poursuite. «Cet été, les contrôles seront encore plus fréquents que d’habitude à cause des directives ministérielles», avertit Christine Cervera-Khelifi.
Les tarifs des cautions n’ont plus rien à voir avec les 900 francs français (230 francs) exigés il y a quelques années. Désormais, la liberté du conducteur se paie 750 euros (1200 francs) pour un excès de 40 à 49 km/h et 1500 euros (2400 francs) pour un excès de 50 km/h et plus. Le contrevenant doit s’acquitter immédiatement s’il veut poursuivre sa route. A lui de se débrouiller s’il n’a pas d’argent sur lui (certains gentils gendarmes accepteront de l’escorter jusqu’au distributeur le plus proche).
Cette arrestation est suivie, quelques semaines plus tard, d’une convocation à comparaître au tribunal à laquelle il est inutile d’assister: «Le juge se débrouille toujours pour fixer une amende dont le montant est équivalent à la caution versée, pour éviter de nouvelles procédures administratives», détaille Christine Cervera-Khelifi. Comme le dossier n’est généralement pas transmis en Suisse, l’histoire s’arrête là.
En Italie, les cautions sont moins élevées. Pour un dépassement de 10 à 40 km/h, le conducteur peut repartir en versant environ 130 euros. Pour les dépassements supérieurs, le versement de 300 euros suffit pour obtenir la liberté. «Mais les Italiens adorent confisquer les permis suisses même si c’est discutable sur le plan de la législation internationale», sourit Paolo Ferrazzini, juriste pour Assista à Bellinzone.
En cas de dépassements importants, au delà de 180 km/h sur l’autoroute, ils prendront son permis et prononceront une interdiction de circuler en Italie pour un ou deux mois. Pour pouvoir rouler en Suisse dans l’intervalle, l’automobiliste devra demander un duplicata de son permis. «Il suffit généralement de dire que l’on a eu un «petit problème en Italie» au service des automobiles», ajoute Paolo Ferrazzini. L’Italie envisage de monter les limitations à 150 km/h sur certains tronçons, mais la loi n’a pas encore changé. Les policiers italiens transmettent parfois les amendes par la poste, mais ils ont la réputation d’aimer les poursuites: ils flashent généralement quelques kilomètres avant un péage et envoient une ou deux Alfa à la chasse du chauffard.
Où que l’on soit, mieux vaut donc lever le pied. «En Europe comme en Suisse, on peut dire qu’il y a une sorte de marge de manœuvre pour les petits dépassements, jusqu’à 30 km/h, conclut l’avocat Patrick Dorner. Au delà, ça cogne très fort. Et partout.»
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Une version de cet article de Largeur.com a été publiée dans le magazine L’Hebdo du 19 juin 2003.
