Les choses étaient tellement plus simples à l’époque de Radio Suisse Internationale! Personne n’osait contester l’utilité de cette station financée à parts égales par la Confédération et la SSR. Sa mission: informer les Suisses de l’étranger et contribuer au rayonnement du pays. Deux nobles tâches qui ont longemps justifié l’entretien à Berne d’une centaine de journalistes spécialisés dans les bulletins d’information multilingues.
Aujourd’hui, programme d’allègement budgétaire oblige, le gouvernement ne voit plus aussi clairement l’utilité de cette luxueuse rédaction, qui a été rebaptisée Swissinfo depuis que la diffusion sur internet a remplacé les ondes courtes. Dans un message publié mercredi, le Conseil fédéral vient de confirmer son intention de supprimer dès 2006 la subvention de 15 millions qu’il lui attribue chaque année. « Mais la décision finale appartient au Parlement, précise Martin Dumermuth, vice-directeur de l’Office fédéral de la communication. Le National va en discuter en décembre, et les Etats au printemps. »
Au cas où cette mesure était adoptée, l’audiovisuel public devrait subvenir seul aux besoins de Swissinfo, c’est pourquoi le gouvernement a aussi proposé, en guise de dédommagement, d’augmenter une fois de plus la taxe radio-TV (qui figure déjà parmi les plus élevées d’Europe). Mais la SSR a immédiatement répondu qu’elle n’était pas intéressée.
A Berne, on ne cache pas que le manque général d’enthousiasme envers cette rédaction pourrait bien, à terme, entraîner son extinction définitive. D’autant que les organismes publics chargés de promouvoir l’image du pays à l’étranger ne manquent pas: des bureaux tels que Présence suisse, l’Office suisse d’expansion commerciale, Pro Helvetia et Suisse Tourisme ont tous, à des degrés divers, des missions comparables.
Qu’adviendra-t-il alors de cette rédaction qu’on appelle « la Voix de la Suisse »? « Si la SSR se retrouve seule aux commandes, elle devra faire face à ses responsabilités et pourra définir une nouvelle stratégie pour Swissinfo », explique pudiquement Mario Carrera, conseiller personnel du ministre de la communication Moritz Leuenberger. Sous entendu: il n’est pas exclu qu’après le désengagement fédéral, la SSR décide de supprimer ce service international dont la fonction apparaît de plus en plus floue.
Swissinfo doit en effet affronter une rude concurrence à l’intérieur même de la grande maison. Exemple: pour la seule langue française, l’audiovisuel public finance déjà les sites d’info très complets de la TSR (qui emploie une quinzaine de personnes à Genève) et de la RSR. « On peut dès lors sérieusement se demander si les sites des radios et des télés publiques ne suffisent pas à informer les Suisses de l’étranger », dit un cadre de la TSR qui insiste pour garder l’anonymat.
C’est précisément le genre de question qui devrait être abordé cet automne au Parlement. Faut-il retirer la prise de Swissinfo? « La suppression de la subvention que préconise le gouvernement n’est qu’un transfert de charges. Nous n’y sommes pas favorables », dit Jean-Philippe Jeannerat, porte parole du Parti socialiste. Du côté radical, on se montre plus critique: « Nous souhaitons que la SSR économise encore sur ses coûts de manière à financer seule Swissinfo », déclare Guido Schommer, secrétaire général.
Pour le Neuchâtelois Claude Frey, qui siège au Conseil du public de Swissinfo, « il est important de maintenir un lien avec les 600’000 Suisses de l’étranger. Ces gens-là, ils votent! Swissinfo est une ambassade électronique qui s’adresse à eux. Mais on peut certainement resserrer les budgets, et se demander s’il n’y a pas trop de langues. »
Depuis ses débuts en 1999, le site de Swissinfo a ajouté à ses cinq idiomes initiaux (les trois langues nationales, l’anglais et le portugais) la diffusion de bulletins en arabe et en espagnol dès 2001, puis en japonais et en chinois l’année suivante. Une stratégie d’expansion que Nicolas Lombard, 64 ans, directeur de Swissinfo, continue à défendre: « Nous n’allons pas supprimer de langues, annonce-t-il. Cela dit, nous sommes évidemment disposés à réduire nos coûts de fonctionnement, notamment en faisant passer notre effectif de 160 à 120 personnes. »
Parmi les départs, Nicolas Lombard lui-même, qui s’apprête prendre sa retraite après 36 ans passés au service de la Voix de la Suisse. « Mon poste sera mis au concours l’an prochain. » Il sait que son successeur n’aura pas la tâche facile.