KAPITAL

Les nouveaux espaces à conquérir

Première mondiale en Suisse: des spots de pub sont diffusés sur les pèse-légumes des supermarchés. En attendant les pompes à essence, les bars et les kiosques.

Le vendeur est toujours déguisé en maraîcher, avec son tablier «authentique», comme sur les marchés villageois. Mais lorsque les clients de Manor lui apportent leurs patates à peser, ils n’ont désormais plus de doute: ils sont bien dans un géant de la distribution qui cherche sans cesse de nouveaux moyens d’augmenter ses ventes.

Depuis quelques semaines, des publicités sont diffusées sur les balances de la douzaine de supermarchés Manor du pays. 300 balances équipées d’écrans à cristaux liquides haute définition sur lesquels défilent des affiches ou des spots publicitaires comme à la TV.

«J’avais déjà eu l’idée de mettre des messages textuels sur les anciens modèles, raconte Jacques Muyal, patron de IBC Retail Systems qui commercialise ces nouvelles balances. Comme je n’arrivais pas à les lire, je me suis dit qu’il fallait les remplacer par de grands écrans et diffuser des vrais spots.»

Jacques Muyal a breveté l’idée de cette invention suisse, «une première mondiale», puis a développé la technologie. Une telle balance multimédia coûte environ 8000 francs, soit 30% de plus qu’un modèle classique. Une différence compensée par l’augmentation des ventes et la pub. Le concept publicitaire a été développé l’agence Le Lab Consulting, spécialisée dans la recherche de nouveaux supports.

«L’idée m’a tout de suite intéressé, dit Gérald Le Meur, patron de Le Lab Consulting. Au début, on a imaginé une vraie chaîne de télévision Manor, avec de vrais programmes, mais les coûts étaient trop élevés.»

Pour les grands groupes de distribution, la balance représente un moyen original de diffuser un message sur le point de vente. La Poste avait eu la même idée en lançant il y a quelques années son Canal Jaune, des téléviseurs qui vieillissent désormais en diffusant la météo. «Le contexte est tout différent dans un supermarché, analyse Gérald Le Meur. Le client n’est pas captif comme à La Poste: s’il y a trop de monde, il peut revenir plus tard à la balance.»

Selon l’étude de marché effectuée, le système se révèle efficace car, en matière d’alimentation, les décisions d’achat se prennent essentiellement dans le magasin. «Au moment de renouveler notre équipement de pesage, que nous changeons tous les 6-7 ans, nous avons été convaincu par cette formule, raconte Maurice Calanca, directeur du marketing de Manor. Compte tenu du prix de l’ensemble du matériel, le supplément pour les écrans et la gestion des publicités était négligeable pour un grand groupe comme le nôtre.»

Chaque balance fonctionne avec un PC relié à internet. Les spots sont ainsi téléchargés sur l’ensemble des balances depuis une centrale opérée par IBC Retail Systems. «Nous fonctionnons comme une petite chaîne de télé, détaille Jacques Muyal. Mais nous pouvons gérer indépendamment le programme de chaque écran.»

En plus des spots nationaux diffusés depuis la centrale, chaque magasin peut gérer sa programmation lui-même: un spot pour le Camembert light pourra être diffusé uniquement au rayon fromage. Le centre commercial peut aussi utiliser les écrans pour des offres de dernières minutes. «S’il reste trop de poires au rayon fruit en fin de journée, on organise une baisse de prix éclair et on diffuse l’annonce sur toutes les balances en un clic», illustre Maurice Calanca de Manor.

Selon Michelle Bergadaa, chercheur en marketing à l’Université de Genève, ces nouveaux espaces publicitaires ne permettront pas de doper les ventes: «Cela permettra tout au plus d’optimiser la gestion des stocks», dit-elle. Les écrans ne seront cependant pas utilisés uniquement pour de la promotion interne. «Nous nous concentrerons évidemment sur des produits que le client peut trouver au magasin, poursuit Maurice Calanca. Mais nous allons aussi vendre l’espace pour des secteurs qui n’ont rien à voir comme le lancement d’un nouveau film ou d’une voiture.»

C’est l’agence IP-Multimedia qui se charge de commercialiser ces espaces publicitaires. «L’idée est géniale, s’enthousiasme Raoul Gerber, directeur des ventes pour la Suisse romande. L’étude d’impact montre que les clients sont très réceptifs et pas du tout incommodés.»

Les espaces sont vendus entre 5’000 et 14’000 francs – en fonction de la longueur – pour une diffusion en boucle pendant 4 semaines dans l’ensemble des douze magasins. A raison de 150 passages par jour, chaque spot touche environ 220’000 clients par semaine, estime IP-Multimedia.

Pour éviter l’overdose, surtout pour les clients qui doivent attendre longtemps dans la file, les spots sont entrecoupés d’un programme prétexte: des animaux qui gambadent, des paysages montagneux, etc. «Dès l’an prochain, des images du festival de Montreux seront diffusées», assure Jacques Muyal, passionné de jazz. Des images seulement, puisque les écrans ne sont pas équipés de haut parleurs.

Plusieurs autres axes de distribution ont été explorés par IP-Multimedia et IBC Retail Systems. Ainsi, dans toutes les stations Tamoil, des écrans plats diffuseront bientôt des spots en audio et vidéo directement sur la pompe à essence.

Un réseau de grands écrans installés dans les bars et les boîtes de nuit est aussi en phase de développement. Opéré par la société White Night, qui s’est rendu célèbre en commercialisant des espaces publicitaires dans les toilettes des endroits branchés, il permettra notamment aux annonceurs de boissons alcoolisées de cibler leur clientèle directement sur le point de vente.

Cette nouvelle forme de diffusion intéresse aussi le réseau Naville. Il permettra à des éditeurs de présenter des news ou des accroches thématiques de magazines directement dans les kiosques. Et aux cigarettiers de convaincre les fumeurs de changer de marque au dernier moment, juste avant l’acte d’achat.

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Une version de cet article est paru dans L’Hebdo du 24 juillet 2003.