Quand on leur demande d’expliquer le succès leur entreprise, les collaborateurs de Nokia racontent volontiers l’anecdote de l’incendie d’Albuquerque. Le 17 mars 2000, la foudre a embrasé une unité de production de semi-conducteurs qui fournissait plusieurs fabricants de téléphones mobiles, dont Nokia.
L’entreprise finlandaise a su alors réagir très vite en envoyant dans la nuit son ingénieur en chef Korhonen au Japon pour trouver d’autres sous-traitants capables de produire rapidement le composant désormais manquant. Ses concurrents n’ont pas été aussi rapides. Résultat des courses: Nokia contrôle aujourd’hui 35% du marché de la téléphonie mobile.
Pour être honnête, l’histoire du succès de Nokia a cependant commencé bien plus tôt. Dans les années soixante, les gouvernements suédois et finlandais avaient lancé un programme de radiotéléphonie pour les vastes provinces du Nord. Les entreprises Nokia et Ericsson ont alors pu acquérir une expertise devenue très utile quand le téléphone mobile a fait son apparition dans les années 80.
Par ailleurs, la fin de l’URSS dès 1989 a obligé Nokia — qui était alors un conglomérat produisant toutes sortes de produits, notamment des bottes en plastique, pour les Soviétiques — à effectuer un choix stratégique pour s’ouvrir à l’Occident. La téléphonie mobile a constitué le bon choix.
Mais aujourd’hui, la position dominante de Nokia est remise en cause. Les connaisseurs du dossier, que j’ai rencontrés en Finlande, m’ont expliqué que pas moins de trois défis vont décider de son sort :
–Le premier défi est lié au futur système d’exploitation de la téléphonie mobile. Microsoft fait le forcing pour imposer sa solution compatible avec Windows et Outlook. Les fabricants asiatiques et européens, dont Nokia, tentent d’offrir une solution différente. Mais Samsung et d’autres ont déjà opté pour Microsoft. L’enjeu est de taille. Difficile de dire aujourd’hui qui en sortira victorieux.
–Le deuxième défi concerne la maîtrise de l’image et des jeux sur portables, dont l’importance devient cruciale sur ce marché. Là, évidemment Sony a de l’avance. Le groupe japonais possède ce savoir-faire depuis longtemps, alors que Nokia ne fait que démarrer.
–Le troisième et dernier défi concerne l’immense industrie financière des micro-paiements. Imaginez que demain, au lieu de sortir votre monnaie pour acheter votre journal au kiosque, vous puissiez payer avec votre téléphone mobile. Quel confort!
Les opérateurs téléphoniques sont au monde les seules entreprises capables de faire payer des achats d’une valeur de quelques centimes, et même de gagner de l’argent, malgré les coûts engendrés par la facturation du micro-paiement. Le défi ici pour Nokia est d’accéder à cette compétence pour l’offrir comme service. Si elle n’y parvient pas rapidement, ses concurrents prendront sa place.
On le voit bien, l’avenir de Nokia n’est pas garanti du tout. L’industrie de la téléphonie mobile va encore se transformer dans les annés qui viennent, et les vainqueurs d’hier ne seront pas forcément ceux de demain.
A ce propos, les Finlandais racontent la légende du Kalevala, sorte d’immenses recueils de poèmes, très populaires, qui parle d’une machine étrange connue sous le nom de Sampo. Cette machine produit richesse et bonheur. Forger le Sampo requiert expertise et chance. Celui qui les détient impose respect et envie.
Nokia n’a-t-elle pas, avec le téléphone portable, reproduit la légende? Espérons pour les Finlandais que la machine ne disparaîtra pas dans un lac comme le récit poétique le prédit.
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Xavier Comtesse est le directeur romand d’Avenir Suisse, think tank financé par les grandes entreprises du pays.