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Règlements de comptes sous la coupole fédérale

Si vous détestez la politique suisse; si vous ne comprenez rien aux institutions fédérales; si vous pensez que nos parlementaires sont d’un ennui mortel, ce film est pour vous.

En août dernier, à 1h30 du matin, plus de 6’000 personnes veillaient encore sur la Piazza Grande, à Locarno, pour suivre les tribulations de cinq membres d’une commission parlementaire, de leur première rencontre jusqu’au vote en séance plénière du Conseil national. Le film fut un triomphe.

Car «Mais im Bundeshuus, le génie helvétique» fait mieux que dévoiler les mécanismes du pouvoir, il les révèle et les explique. Il réussit même à rendre distrayante l’élaboration laborieuse d’un texte loi.

Est-ce Jean-Stéphane Bron qui leur prête du talent ou en ont-ils au point que l’on en vienne à se demander pourquoi on ne s’en était jamais aperçu? Les cinq héros de «Mais in Bundeshuus, le génie helvétique» jouent leur propre rôle à la perfection. Ces parlementaires ont été choisis en fonction de leur potentiel narratif, mais aussi de leur représentativité politique, géographique et sexuelle.

Il y a Josef Kunz (UDC), 58 ans, agriculteur; Maye Graf (Verts), 41 ans, qui exploite un domaine agricole bio; Johannes Randegger (PRD), 62 ans, proche de l’industrie chimique bâloise; Liliane Chappuis (PS), 48 ans, enseignante et syndique de sa petite commune fribourgeoise; enfin Jacques Neirynck (PDC), 72 ans, professeur-écrivain se définissant comme catholique critique.

Ces cinq sensibilités politiques ont une mission: élaborer ensemble un texte de loi sur le génie génétique, la GenLex. Mais leurs débats sont en huis clos et toute caméra interdite pendant les sessions. Comment alors Jean-Stéphane Bron et ses deux acolytes ont-ils pu restituer la teneur des séances? Par un dispositif très habile, très théâtral: attendre derrière la porte que sortent, pour la pause cigarette, les conseillers nationaux et les interroger sur ce qui s’est passé. Les questions sont naïves. On sait depuis longtemps que la position de Candide est la meilleure pour tromper la vigilance de son interlocuteur.

Et le miracle se produit. Après avoir accepté d’être les acteurs de leur fonction, les élus sont bien obligés de se mettre à la disposition du metteur en scène. Non seulement ils répondent à toutes les questions, mais ils sont prêts à refaire plusieurs prises, à répéter leur texte, à rejouer des situations. Un des participants, le docte Jacques Neyrinck, parle justement «de mise en scène dans un théâtre d’improvisation».

C’est ainsi que peu à peu, au fil de cette porte qui s’ouvre et se ferme, les cinq parlementaires deviennent des personnages: la nouvelle et déjà moqueuse Maya; la discrète et médiatrice Liliane; le persévérant et rusé Josef; la girouette sentencieuse Neirynck; l’autoritaire et mauvais perdant Johannes. Ses tics de bouche, ses emportements, ses stratégies de séduction, le placent dans le rôle du méchant, mais d’un méchant à la Louis de Funès, tête à claques, certes, mais attachant! Contrairement à d’autres, on voit très clair dans son jeu. Proche de l’industrie chimique bâloise, il défend les intérêts de la science et des lobbies économiques avec une mauvaise foi qui ne trompe personne.

Que l’objet de leurs discussions portent sur le génie génétique n’est pas vraiment important — sauf que le sujet est sensé intéresser d’avantage le spectateur qu’une nouvelle révision de loi sur la prévoyance professionnelle. Les questions de fond sont à peine évoquées et l’enjeu éthique du débat escamoté. Ce que débusque et montre sans fausse honte Jean-Stéphane Bron, c’est la comédie du pouvoir, avec ses constructions d’alliances, ses calculs de voix, ses retournements d’opinions, ses rapports de force, ses monnayages de services, ses trahisons, ses arrangements à la petite semaine et ses soumissions aux lobbies.

De quoi vous dégoûter de la politique? Non, pas du tout! Certes, on voit bien que le jeu politique consiste pour beaucoup à défaire ce que les adversaires ont fait, et vice-versa, mais on est saisi tout autant par la passion qui anime ces élus miliciens et leur capacité à rebondir après l’échec.

On voit surtout que la démocratie n’est pas une autoroute blanche sur laquelle circulent des voitures rapides allant toutes dans le même sens, mais une sorte de labyrinthe encombré et lent où il n’est pas rare, après s’être perdu mille fois, de revenir au point de départ sans même s’en apercevoir.

A mi-chemin entre la comédie civique à la Capra et le thriller documentaire, «Mais im Bundeshuus» permet au spectateur de visualiser la démocratie. Cela peut-être utile à l’approche des élections fédérales.