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Sueurs froides à Hollywood

Pour les fêtes de Noël cet hiver, de nombreux adolescents auront envie de recevoir un nouveau lecteur de DVD. Car les appareils qui arrivent actuellement sur le marché européen, comme celui du danois Kiss-Technology, sont désormais compatibles avec des formats utilisés sur Internet comme DivX ou son cousin XviD (lire interview ci-dessous).

Avant, pour visionner un film piraté, il fallait se contenter de l’écran de son ordinateur ou brancher son PC sur la télévision. Mais avec ces nouveaux lecteurs, le trafic se fera beaucoup plus facilement, avec de simples CD-ROM.

L’entreprise DivX Networks, à l’origine de l’algorithme DivX qui permet de compresser des films et de les transmettre sur Internet, cherche actuellement à s’allier avec les grands studios américains. Objectif: faire du format DivX un standard de diffusion, sur Internet et ailleurs. La tâche n’est pas commode car, pour l’instant, DivX sert surtout à pirater des films illégalement, comme l’explique Stéphane, collégien genevois de 15 ans: «Je viens de télécharger «Terminator 3». C’est gratuit et facile. Sur le Net, j’ai accès à des films très récents, qui sont souvent à peine sortis en salle.»

Depuis que Stéphane a installé l’ADSL chez lui, il ne met plus les pieds dans un vidéoclub et va beaucoup moins au cinéma. Comme près de 6 millions d’usagers des communautés peer-to-peer en Europe, il fait son cinéma sur l’écran de l’ordinateur de sa chambre.

On connaissait le trafic illégal de musique sur le Net, rendu populaire grâce au format de compression MP3. Mais depuis quelques mois, c’est le piratage de vidéos qui a la faveur des jeunes internautes.

«La croissance est importante: une augmentation d’un facteur 2 à 3 tous les six mois», estime Jan Scharringhausen, juriste de l’Association suisse pour la lutte contre la piraterie (SAFE), une agence privée financée par l’industrie hollywoodienne. «Nous surveillons de près cette évolution, dit Philippe Roditi, patron du fournisseur d’accès VTX. Le téléchargement de musique a fait monter considérablement les besoins par usager. Pour les films, ce pourrait être encore bien plus important.»

Le phénomène préoccupe les studios car chaque film piraté représente une valeur encore bien plus importante qu’un morceau de musique. «Les sources sont multiples: les fichiers sont fabriqués depuis des DVD ou avec des caméras numériques qui filment les écrans dans les salles de cinéma, explique Jan Scharringhausen. La qualité du matériel s’est beaucoup améliorée et on trouve des reproductions incroyables, y compris du son, de longs métrages capturés dans des salles.»

A la maison, les PC deviennent de véritables stations de montage professionnelles. Avec d’énormes disques durs et des processeurs puissants pour décompresser les images. La technique fonctionne ainsi: s’il existe en DVD, le film est «rippé», c’est à dire que l’internaute en extrait les éléments vidéos et sons dans des fichiers séparés. La suite de la procédure est la même si le film provient d’une caméra vidéo: les fichiers sont compressés en utilisant un algorithme proche du système MPEG-4 utilisé pour la télévision numérique, et en MP3 pour le son. Ces programmes, baptisés aussi codecs (abréviation de «compresseur décompresseur»), existent gratuitement sur le Net en de multitudes de variantes.

L’un des plus célèbres, le DivX, permet d’atteindre un facteur de compression de 5 à 10 en conservant une qualité d’image proche du DVD sur un téléviseur. Une variante plus récente, baptisé XviD, propose des résultats encore meilleurs et fait des ravages. Le pirate calibre généralement le facteur de compression pour que le film ne dépasse pas 650 Mb, la taille d’un CD-ROM. Il pourra ainsi le transporter plus facilement. Les films compressés sont ensuite échangés sur des plate-forme en ligne. En fonction du nombre de sources disponibles et de la vitesse de la ligne, entre 6 à 10 heures de téléchargement sont nécessaires pour un long métrage de 2 heures.

Les communautés d’échange les plus populaires sont eDonkey, son frère eMule, ainsi que BitTorrent. Ce dernier contraint la participation active: l’usager doit mettre à disposition des fichiers s’il veut en télécharger lui-même, ce qui encourage encore la piraterie. Les classiques Kazaa ou iMesh, centrées initialement sur la musique, ont aussi des sections vidéo. Nous parlions récemment de l’émergence rapide des Darknets, dopés eux aussi par l’échange de longs métrages.

En Suisse seulement, SAFE estime que le piratage de musique, de films et de logiciels atteint 100 millions de francs. «Nous constatons avec effroi que de nombreux jeunes internautes n’ont pas l’impression de pratiquer une activité illégale lorsqu’ils piratent des films, dit Jan Scharringhausen. Pour la nouvelle génération, on se sert car ces données sont accessibles librement et anonymement. Il y a un travail éducatif à faire.»

Les sanctions existent pourtant: «Les peines peuvent atteindre plusieurs milliers de francs et jusqu’à 3 ans de prison, poursuit le juriste. Les usagers de systèmes peer-to-peer restent cependant très difficiles à localiser, et aucun n’a encore été amendé en Suisse. Nous nous concentrons sur ceux qui piratent les films dans les cinémas ou qui développent une activité commerciale, en vendant par exemple des films sur eBay ou par démarchage e-mail. A ce sujet, deux procédures juridiques sont en cours, à Bâle et à Zurich.»

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«Le piratage n’est pas mon problème»

Le fabricant danois Kiss-Technology, 35 employés, a mis au point les premiers lecteurs DVD de salon compatible avec les formats DivX et XviD utilisés par les pirates. Les commandes ne cessent d’affluer du monde entier, y compris en Suisse, depuis que le revendeur TopD l’a ajouté à son catalogue. Les explications de Bo Lustaut, directeur des ventes et du marketing de Kiss-Technology.

«Nous offrons un produit unique au monde qui permet aux internautes de visionner facilement des films compressés sur un écran de télévision. Pour cette raison, notre dernier modèle est le lecteur DVD le plus vendu en France sur les derniers 8 mois. En Europe comme aux Etats-Unis, nos ventes connaissent une croissance énorme.»

Le fait que votre produit favorise indirectement le piratage ne vous gêne pas?

«Ce n’est pas mon problème. Nous fournissons un appareil permettant de visionner des films compressés. De la même manière qu’il existe des dizaines de modèles de lecteur MP3 vendus par les plus grands constructeurs. Je suis d’ailleurs persuadé que tous les fabricants vont rapidement intégrer le DivX. A Noël, cette année, ils seront déjà partout.»

Quel sera votre avantage compétitif?

«Toujours un coup d’avance: nos nouveaux lecteurs sont munis d’un raccordement réseau qui permet de les relier directement à un PC. Cela facilite la mise à jour des logiciels et le transfert de données. Par ailleurs, nous avons mis au point un modèle qui enregistre des programmes de télévision sur un disque dur et diffuse des radios en ligne.»

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Une version de cet article a été publiée dans le magazine L’Hebdo du 23 octobre 2003.