- Largeur.com - https://largeur.com -

«Les Invasions barbares», un film qui suinte l’amertume

Tout oppose «Hero», du cinéaste chinois Zhang Yimou, et «Les Invasions barbares», de son confrère québécois Denys Arcand. Tout, sauf leur résultat: les deux films passent à côté du cinéma. Le premier parce qu’il ne fait que de l’image, le second, bavard jusqu’à la nausée, parce qu’il s’accroche au texte comme un malheureux à sa bouée.

Dans «Hero», les plus beaux rôles ont été confiés aux vêtements, amples et souples, qui s’enroulent, flottent et se déploient pour donner un semblant de mouvement à cette saga aux dizaines de milliers de figurants. «Hero», ou comment faire du creux avec du trop-plein.

A l’inverse du tout image de Zhang Yimou, Denys Arcand se contente d’illustrer ses dialogues, réglés comme une partie de ping-pong où domine le culte du mot d’auteur. Sa grammaire cinématographique se réduit à des champs/contrechamps et quelques pléonasmes télévisuels (gros plan quand un homme parle; plan général quand tout le monde rit de sa blague).

Ce n’est plus de la mise en scène: c’est de la mise en ondes! On touche le fond de ce cinéma radiophonique avec la scène dite du pompier, où les acteurs attendent sagement que la caméra se pose sur eux pour donner la réplique.

«Les Invasions barbares» appartient à cette catégorie de films qui divisent le public. Certains spectateurs le portent aux nues en vantant sa finesse d’observation alors que d’autres le trouvent terriblement fade et casse-pieds.

Le film reprend, quinze ans plus tard, les personnages du «Déclin de l’empire américain», et particulièrement Rémy, le prof d’histoire gauchiste qui était capable à l’époque de vanter la Révolution culturelle de Mao parce qu’il avait envie de coucher avec une petite Chinoise. Depuis, le monde a bien changé et l’Amérique, «empire régnant sur le monde entier», a connu, le 11 septembre 2001, sa première invasion barbare. Il y en aura d’autres, prédit Denys Arcand.

En 2002, Rémy devenu quinquagénaire souffre d’un cancer incurable. Il le sait et nargue la maladie. Il veut mourir en mécréant, en bouffeur de curés, en anar libertin. Il préfère brûler en Enfer que s’ennuyer au Paradis, «entre Jean-Paul II, un Polonais sinistre, et mère Teresa, une Albanaise gluante.»

Son fils Sébastien, qu’il méprise («c’est un capitaliste ambitieux et puritain»), homme d’affaires installé à Londres, vient à son chevet. Constatant dans quelles conditions précaires son père est soigné, il allonge les dollars pour le transférer dans une aile inoccupée de l’hôpital — et Denys Arcand d’en profiter pour ouvrir le débat sur la politique de santé du Québec.

Par des voies détournées, Sébastien réussit également à se procurer de l’héroïne pour soulager ses souffrances — et Denys Arcand d’ouvrir le débat sur l’euthanasie. Dans la foulée, il convoque tous les amis et ex-maîtresses de son père pour l’accompagner dans ses derniers jours.

Commence alors ce banquet d’adieu autour d’Epicure. Un homme va s’éteindre, et avec lui toute une génération, celle des soixante-huitards, celle qui ne pensait qu’en «isme», marxisme, structuralisme, trostkysme, féminisme, situationnisme etc. «Tout sauf crétinisme», s’esclaffe l’un des joyeux drille. Rires symphoniques des autres compères, alignés en rang d’oignons sur la terrasse.

Avec la régularité d’un métronome, Denys Arcand alterne Rémy qui rit, Rémy qui pleure, séquence de comédie et d’émotion, de paillardise et de stoïcisme. Un coup, il se passe le film de ses amours anciennes et cinématographiques (joli montage des actrices qui l’ont fait craquer). Un coup, il demande pardon à ses enfants de son irresponsabilité de père. Mais tout sonne faux, à l’image du jeu théâtral et excessif des acteurs. Cela n’a pourtant pas empêché le film de remporter à Cannes «la palme du cœur» ainsi que le prix du scénario et de l’interprétation féminine pour Marie-Josée Croze.

Denys Arcand souffre du même syndrome que ses personnages faussement débonnaires: il ne supporte pas que son âge d’or soit passé et qu’une relève puisse le remplacer. Son film suinte l’amertume. Les personnages de la nouvelle génération, le fils et Nathalie, la junkie pourvoyeuse de drogue, incarnent les deux maux dont sont atteints l’Occident: l’amour de l’argent et la destruction par la drogue.

Seule l’acceptation de l’héritage des anciens, la reconnaissance de leur utopie, le partage de leurs valeurs, peut les sauver de leur déchéance.

A la liste des «isme», Denys Arcand a oublié catéchisme. Le sien est pontifiant et sinistre.