C’est une mode hollywoodienne. On conçoit désormais les films pour ménager un coup de théâtre final. Illustration avec deux films à l’affiche, «Les Associés» de Ridley Scott et «Identity» de James Mangold.
Depuis «Usual Suspect» et «Sixième Sens», de plus en plus de films hollywoodens se fient à leurs scénarios tordus pour tenir en haleine le spectateur. Qu’importe l’histoire pourvu que l’on possède une bonne chute. Résultat: on attend patiemment la fin, oubliant en cours de route le plaisir d’être dans l’histoire.
Deux films actuellement à l’affiche se comportent ainsi, «Identity», de James Mangold et «Les Associés» («Matchstick Men»), de Ridley Scott. Avantage néanmoins au second qui, avant le coup de théâtre final, nous aura réjoui d’une jolie fable sur la paternité.
«Identity» de James Mangold appelle les références. On pense aux «Dix petits Nègres», d’Agatha Christie pour l’intrigue; à David Fincher pour la combinaison finale; à «Psychose» de Hitchcock pour ses clins d’yeux climatiques; à «Scream» pour la dimension grand-guignolesque et le second degré — involontaire.
L’histoire: après de multiples accidents, des étrangers se réfugient dans un motel en plein désert, sous une pluie diluvienne. Il y a un couple d’un certain âge avec un enfant autiste, dont la mère est grièvement blessée; un flic bizarre qui escorte un dangereux assassin; un ancien policier devenu chauffeur d’une starlette en crise; une call-girl; un couple fraîchement marié au bord de la rupture et le gardien du motel. Un à un, tous ces personnages se font éliminer. Qui est le tueur?
Après une ouverture éblouissante où chaque personnage fait son entrée au gré de multiples coïncidences; après une mise en place atmosphérique des plus réussies; après la présentation sommaire et inquiétante de tous les personnages, «Identity» s’installe dans le thriller horrifique. Les premiers morts excitent notre imagination de détective; à partir du quatrième, on lâche prise. Répétition de situation, morts annoncées, surenchère dans le gore rythment alors ce thriller pluvieux et bruyant, mécanique dans son principe d’élimination. On sait qu’il va falloir attendre la fin, et le joker du scénariste, pour connaître le fin mot de l’affaire.
Comme souvent en pareille construction, le dénouement sera décevant. Théorique et artificiel, il se contente de justifier ce qui précède, sans l’enrichir ni le mettre en perspective — contrairement à «Sixième sens» qui interrogeait notre relation aux images et nos habitudes narratives. En dépit de son titre qui laissait augurer une réflexion autour de l’identité, le film se termine par une pirouette, convoquant, comme cela est devenu une habitude à Hollywood, les pathologies mentales pour résoudre l’improbable. La schizophrénie comme un grand fourre-tout scénaristique.
A l’inverse du film de James Mangold, celui de Ridley Scott, «Les Associés», pourrait tenir sans son dénouement inattendu. Deux escrocs à la petite semaine — Roy (Nicolas Cage), le vétéran et Frank, son jeune et ambitieux émule — se la coulent douce grâce à une série d’arnaques. Leurs opérations sont juteuses à en juger par la splendide villa avec piscine de Roy, sa vie privée en revanche est beaucoup moins enviable. Agoraphobe et sujet à des tics obsessionnels compulsifs, il consulte un psy pour continuer à fonctionner. C’est alors qu’il découvre avec effroi qu’il a une fille, Angela, 14 ans. L’arrivée impromptue de l’adolescente bouleverse les routines névrotiques de Roy qui commence à prendre goût à sa tardive paternité…
A l’image de son anti-héros plein de tics et de tocs, «Les Associés» est un film qui se cherche. Peu sûr de son identité (est-ce un film d’arnaqueurs? un polar? une fable sur la paternité? un portrait de névrosé?), il change souvent de rythme. Cette arythmie participe au charme de ce film mineur, dominé par le jeu sobre de Nicolas Cage, pas très loin du Jack Nicholson de «Pour le pire et pour le meilleur».
Face aux dysfonctionnements du cerveau de son héros malheureux, Ridley Scott adapte une montage très heurté et tranché, où le temps ne devient qu’une succession d’instants presque angoissants et absurdes. Le film ne manque pas d’humour non plus, notamment dans l’observation des détails obsessionnels de Nicolas Cage.
Moins mathématique que celui d’«Identity», le coup de théâtre final, très inattendu, a plusieurs fonctions. D’abord, il exauce la volonté inconsciente de son héros à renoncer à ses petites magouilles, d’être puni et ainsi guéri de ses névroses. Ensuite, il apporte une dimension vertigineuse au scénario que l’on a envie, après coup, de dérouler à l’envers pour en mesurer toutes les subtilités.
Enfin, il donne à ce portrait de malfrat mal dans sa peau une dimension humaine qui renvoie «Les Associés» à ce qu’il est vraiment: une comédie familiale mélancolique sur fond d’arnaques.
