Des centaines de «déconsommateurs» se sont réunis à Lyon pour réfléchir à l’avenir. Selon eux, une croissance infinie n’est pas possible sur une planète aux ressources limitées.
Est-il vraiment impossible d’envisager l’avenir sur un autre mode que celui de la croissance? De curieuses appréciations surgissent pour éviter de parler de stagnation ou de décroissance: on parle de «croissance zéro», de «panne de croissance», de «croissance en repli», de «profil de croissance bas», de «croissance frileuse»… Tous les espoirs reposent sur un retour de la croissance, dont on traque les signes annonciateurs.
Epouvantail pour les uns, la décroissance est la panacée pour d’autres. A Lyon vient en effet de se tenir le premier Congrès de la décroissance soutenable*. Il a réuni les héritiers de Nicholas Georgescu-Roegen, le père d’une théorie qui connaît un intérêt grandissant: la bioéconomie
Comment peut-on concevoir une croissance infinie sur une planète aux ressources limitées? Partant de cette interrogation, Nicholas Georgescu-Roegen, un mathématicien et économiste roumano-américain (1906-1994), jugea indispensable d’ajouter à l’analyse économique un paramètre ancré dans le long terme: la finitude des ressources naturelles. On lui doit la critique radicale, formulée au début des années 1970, du principe d’augmentation constante du PIB, pierre angulaire de l’ordre économique actuel.
Pendant les deux jours du Congrès, quelque 300 objecteurs de croissance ont parlé de «sobriété heureuse», de «simplicité volontaire» ou d’«innovation frugale».
La décroissance soutenable se veut un pied de nez au très consensuel développement durable, «un des concepts les plus nuisibles», selon Georgescu-Roegen. S’il permet théoriquement de concilier l’inconciliable, le développement durable ne renonce, en fait, pas au culte de la croissance marchande. Pour un des orateurs invités au Congrès, Vincent Cheynet, il s’agit «d’une escroquerie sémantique dont il paraît aujourd’hui aussi urgent de sortir que du nucléaire».
Préserver l’environnement mais aussi restaurer un peu de justice sociale, tels sont les objectifs de la décroissance. Elle est, cela a été précisé sans relâche, souhaitable dans les pays riches uniquement. Les pays riches consomment 80% des ressources mondiales alors qu’ils ne représentent que 20% de la population. Un rééquilibrage s’impose.
Qui a envie de déconsommer, de découvrir qu’on peut fabriquer du bonheur en consommant infiniment moins? Quel Etat est prêt à se lancer dans un processus de décroissance de sa production et de croissance de sa volonté de partage? Pour l’heure, on ne se bouscule pas au portillon.
Perçue comme synonyme de récession, donc de chômage et de paupérisation, la décroissance effraie. A tort, estiment certains. «La récession, c’est un simple défaut de croissance, tandis que la décroissance correspond à une modification des conditions et des règles de développement», précise Jacques Grinevald, un disciple et ami suisse de Nicholas Georgescu-Roegen
Ecologistes et altermondialistes pourraient bien tomber sous le charme de ce concept émergent. «La décroissance, c’est l’intuition que les lois de l’économie ne peuvent pas être radicalement différentes des lois de la nature. Après l’effondrement du marxisme, la bioéconomie peut être la théorie économique globale qui nous manque aujourd’hui», a affirmé un militant d’Attac lors du colloque.
Mais qu’en est-il du passage à une économie de décroissance? Les quelques allusions qui s’y réfèrent restent bien floues. C’est là une critique qui a été formulée à plusieurs reprises lors du Congrès. Elle ne dérange pas ses thuriféraires, dont l’objectif n’est pas de faire système; ils s’inquiéteraient si une personne débarquait avec des solutions toutes faites.
Pour que la décroissance se développe, l’économiste Serge Latouche, principal théoricien de la décroissance en France, compte sur «la pédagogie des catastrophes». «Les catastrophes sont notre seule source d’espoir, car je suis absolument confiant dans la capacité de la société de croissance à créer des catastrophes. La canicule de l’été fera bien plus pour la décroissance que tous les colloques et livres réunis», estime-t-il.
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*Les participants au Congrès ont été réunis par l’Institut d’études économiques et sociales pour la décroissance soutenable, les membres du collectif Casseurs de pub, l’association La Ligne d’horizon, l’Institut pour la relocalisation de l’économie, les revues «L’Ecologiste» et «Silence», et Jacques Grinevald (IUED).
«Demain la décroissance», de Nicholas Georgescu-Roegen, aux éditions «Sang de la terre», 1995.
