Le héros du film «Good Bye Lenin» n’aurait plus besoin de remuer ciel et terre pour trouver des produits de l’ancienne RDA: une vague d’ostalgie déferle en ce moment sur l’Allemagne et les a transformés en objets de culte.
Les fameux cornichons Spreewald sont de retour. Mais aussi le café Rondo Melange, la crème au chocolat Nudossi, le Vita-Cola et quantité d’autres produits est-allemands. Le syndicat d’initiative de Berlin propose un tour «ostalgique» aux touristes Une petite virée en Trabant vous tente? Pour 60 euros, Neckermann City Reisen vous confie le volant et la petite carrosserie de plastique pendant une heure et demie.
Les chaînes de télévision allemandes transforment les Ossis en nouvelles stars. Dernière émission en date, le DDR Show sur RTL présenté par Katarina Witt ou Nina Hagen fait un tabac. «Grâce à de telles émissions, les habitants de l’Ouest ont enfin découvert comment nous avons vécu, nous, pendant des décennies à l’Est», explique la patineuse mythique. «lls ne connaissaient rien de notre culture avant ces derniers mois et nous, nous n’avions plus droit au moindre souvenir. En RDA, nous avions nos films, nos chansons, nos acteurs, dont on ne parlait plus.»
Qui l’eut cru? L’ancien look DDR est très populaire dans les soirées branchées. Les tee-shirts arborant fièrement le marteau et la faucille ou le sigle des FDJ (jeunesses communistes) se vendent bien. Idem pour la célèbre tour de la télévision qui, après trente ans de bons et loyaux services à un régime politique totalitaire, est devenue un symbole graphique omniprésent à Berlin. Un livre intitulé «Von der Partei zur Party», retrace ce curieux parcours. On trouve aussi sur le marché des compilations des actualités de la télévision d’Etat en cassettes vidéo. Un parc d’attraction sur le thème de la vie en RDA serait en préparation.
Plusieurs musées des souvenirs de la RDA et des sites de vente de plus de mille produits de l’ancien régime sont accessibles en ligne.
A Berlin, les lieux trendy sont désormais à l’Est. Les touristes s’y ruent, les créateurs s’y installent. Un phénomène imprévisible lors de la chute du Mur. Qui aurait alors parié sur une exhumation, moins de vingt plus tard, du design conçu à la règle, d’une idéologie désireuse de façonner un «homme nouveau»? Certainement pas Georg Bertsch et Ernst Hedler, les auteurs de «SED», un livre consacré au design est-allemand paru en 1990 chez le grand éditeur Taschen.
«Depuis l’ouverture du Mur le 9 novembre 1989, on dirait que l’adaptation de la RDA à sa sœur occidentale est devenue inéluctable. Le monde blafard de ses biens de consommation ne peut guère tenir tête à l’assaut de couleurs chatoyantes en provenance de l’Ouest.» D’où l’urgence, selon les auteurs, de rassembler et de documenter ce qui allait devenir les «fossiles du design» d’une époque révolue.
L’album photographique présente des marchandises de la grisaille quotidienne de la RDA, un monde se dérobant à toute notion occidentale courante. Des objets qui ne cherchent à séduire ni par leur nom, ni par leur apparence. Comment de tels fossiles ont-ils bien pu devenir tendance?
Côté Ouest, des consommateurs harcelés par la pub leur trouvent une certaine candeur. Jugés poisseux et laids hier encore, ces objets dégagent soudain à leurs yeux une simplicité en accord avec une nouvelle morale de la sobriété, le respect de l’environnement et le désir de mettre fin à une société de gaspillage.
Côtés Est, l’ostalgie est un sentiment très confus qui ne saurait être assimilé à une forme de mélancolie pour «la vie d’avant», mais bien davantage à une recherche de repères auxquels accrocher une identité dont les racines peuvent prendre la forme de cornichons Spreewald (voir «Good Bye Lenin»).
Cette évolution dans l’appréciation des objets illustre les propos de Roger-Pol Droit dans «Dernières nouvelles des choses. Une expérience philosophique» (Odile Jacob) qui sort de presse ces jours. Pour le philosophe français, les choses ne vont ni bien ni mal. Car «le rapport que nous entretenons avec elles est révélateur de notre rapport à nous-mêmes.»
