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Après l’Irak, c’est le tour de la Syrie

L’administration étasunienne est une lourde machine qu’il est difficile d’arrêter lorsqu’elle se met en marche. Ainsi en va-t-il avec les menaces qu’elle fait peser sur la Syrie. Le 12 novembre, le Sénat a approuvé par 89 voix contre 4 une loi déjà votée fin octobre par la Chambre des représentants à la quasi unanimité (398 contre 4).

Intitulée «Loi pour la responsabilité de la Syrie et sur la souveraineté du Liban», elle prévoit une série de mesures, dont le gel des avoirs syriens aux Etats-Unis, si Damas n’obéit pas à des injonctions en principe précises (surveillance des frontières, lutte contre le terrorisme, renonciation aux armes de destruction massives) — mais l’affaire irakienne vient de nous prouver que ces injonctions sont extensibles à l’infini.

Le plus grave tient probablement à la mise en cause de l’équilibre fragile trouvé au Liban après des années d’une horrible guerre civile. Les néo-conservateurs américains présentent la chose de manière apparemment simple: le Liban était un Etat souverain, l’armée syrienne n’a rien à y faire et doit se retirer au plus vite. La logique est imparable, mais que fait la logique dans le conflit du Moyen Orient?

Remettre en cause l’équilibre libanais revient en réalité à ouvrir un nouveau front et à généraliser un peu plus la guerre qui frappe déjà Israël, la Palestine, l’Irak et l’Afghanistan. Alors que Washington s’embourbe en Irak et ne parvient même pas à stabiliser son occupation, n’est-il pas délirant d’élargir encore la mission de ses troupes?

Ce qui semble évident au simple pékin ne peut toucher une machine gouvernementale. Les mesures antisyriennes ont été déclenchées en avril dernier quand Bush pensait avoir gagné la partie en Irak et menaçait l’Iran et la Syrie de leur réserver le même sort. Il sommait alors les Syriens «de faire tout leur possible» pour fermer leurs frontières avec l’Irak aux fidèles de Saddam Hussein, et de livrer ceux qui se sont déjà réfugiés dans ce pays. «Nous attendons une totale coopération de la part de Damas», ajoutait-il.

Une telle détermination présidentielle ne pouvait laisser indifférents les politiciens de son entourage qui se hâtèrent suite à ce discours de ressusciter un projet de loi antisyrien en sommeil depuis le printemps 2002. Ce projet avait été concocté bien avant l’intervention en Irak par deux faucons très favorables à l’extrême droite israélienne, Daniel Pipes et Ziad Abdelnour (fils de phalangistes libanais).

Pas étonnant dans ces conditions que le Liban chrétien (et phalangiste) soit mis en avant comme bastion occidental au Proche-Orient, un bastion indûment mis sous tutelle par les alaouites syriens de Bachar al-Assad. Un bastion que les néo-conservateurs verraient préfigurer la modernisation et l’occidentalisation du Moyen Orient aux côtés de l’Israël d’Ariel Sharon.

Mais dans leur document préparatoire, Pipes et Abdelnour plaidaient leur dossier avec des arguments qui aujourd’hui paraissent singulièrement décalés par rapport à l’actualité: «La guerre du Golfe en 1991 et celle du Kosovo en 1999 ont démontré que les Etats-Unis peuvent défendre intérêts et principes sans subir de grosses pertes. Mais cette opportunité ne doit pas attendre, car plus les armes de destruction massive se répandent, plus le danger augmente.»