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Blocher & Merz, la Suisse en marche arrière

C’est une droite dure, phobique et 100% masculine qui a pris d’assaut le gouvernement. En Suisse, une curieuse tradition veut que les Conseillères fédérales soient victimes de coups fourrés épargnés aux hommes.

C’est le temps des gérontes, le tango des sexas pas sexy, la valse des pépés édentés. Non, mais vous avez vu le gouvernement dont les députés viennent de nous faire cadeau? Mercredi matin, j’ai pris dix ans de plus en trois tours de scrutins.

Je savais la Suisse à droite. Je la savais isolationniste. Mais je l’espérais tout de même moins ringarde. C’était déjà dur avec Deiss et Couchepin, mais avec Blocher & Merz qu’est-ce qu’on se prend dans les gencives! Et nous en avons pour dix ans!

Qu’il est prometteur, le débat d’idées avec ces maîtres en finesse que sont Fattebert ou Freysinger! Qu’il est radieux notre avenir solidement pris en main par les cohortes de pisse-froid xénophobes émules du seigneur d’Ems!


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Mais trêve de lamentations: on ne saurait reprocher aux Blocher & Merz de ne pas avoir annoncé la couleur. Elle est décidément opposée au bleu européen. Je pense qu’à bien chercher, c’est d’ailleurs à la revanche d’un certain 6 décembre 1992 que nous avons assisté avec cette prise d’assaut du Conseil fédéral par la droite extrême et phobique.

Onze longues années où, d’avoir eu si peur de se trouver pris dans les rets européens, les Blocher & Merz et compagnie ont eu le temps de peaufiner leur stratégie de conquête du pouvoir. Il ne faut pas oublier que pour ces démagogues qui n’ont que le mot «peuple» à la bouche, le peuple justement n’avait dit non à l’Espace économique européen qu’avec 24’000 voix de différence.

Mais si les populistes frisèrent alors la catastrophe, il faut admettre qu’ils surent ensuite renverser habilement la tendance en mentant sans vergogne sur l’Europe. Maintenant qu’ils sont au pouvoir, les Blocher & Merz vont devoir affronter la crise économique, le chômage, la reprise qui ne vient toujours pas.

G.W. Bush essaie de s’en sortir en faisant la guerre, en gonflant le budget militaire et en baissant le dollar. A qui nos conquérants vont-ils faire la guerre? Au Liechtenstein?

Des interventions auxquelles nous avons eu droit pendant la matinée électorale, il en est deux qui méritent une mention.

La première, c’est la déclaration du théologien communiste vaudois Zisyadis renvoyant dos à dos tous les bourgeois et refusant de prendre parti entre Ruth Metzler et Blocher. Ce faisant, il a prouvé une fois de plus que dans les moments critiques, les staliniens restent fidèles à leur vocation de fossoyeurs de la démocratie. Comme en 1933, lors de l’accession de Hitler au pouvoir. Comme en 2001 en Italie où ils firent le lit de Berlusconi.

Si mercredi matin, Metzler avait eu trois vois de plus que Blocher à la place de se retrouver ex æquo à 116 voix contre 116, la tendance aurait peut-être pu s’inverser.

La seconde est la belle déclaration de la porte-parole des Verts qui fit remarquer à ses mâles collègues que les Conseillères fédérales étaient curieusement victimes de coups fourrés épargnés aux hommes: Kopp dut démissionner, Dreifuss ne fut élue qu’après une semaine rocambolesque et Metzler, aujourd’hui, éjectée. Seule survivante, Calmy-Rey a, cette fois-ci, été bien élue. Jusqu’à quand?

Dans les flots de commentaires qui ont suivi l’élection de Blocher & Merz, celui de Franco Cavalli, le socialiste tessinois, me semble le plus adéquat. Il note que la Suisse s’italiénise. Qu’avec un Blocher dépassant ses collègues d’une bonne tête, elle aura un premier ministre richissime fort peu soucieux de rendre des comptes à qui que ce soit.

En Italie, Berlusconi qui fut naguère appelé Sua Emittenza a dorénavant droit au très respectueux titre de «Premier» par application d’un curieux gallicisme qui n’existe qu’en italien et en anglais.

Cette parenté politique avec Berlusconi signifie que c’est le mouvement social et seulement le mouvement social qui pourra bouter Blocher & Merz hors de leurs fauteuils confédéraux. Une certaine formule magique a trépassé, entraînera-t-elle la paix du travail dans son sillage? C’est fort probable.