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Si ce n’est toi, c’est donc ton frère

Il faut passer outre le titre français («Deux en un», un slogan de shampoing!), la laideur de l’affiche, l’imbécillité de la bande-annonce et la réputation de potaches attardés qui colle au dos des frères Farrelly.

Il faut passer outre car «Stuck on You» (à la fois collé à l’autre et épris de l’autre) est une comédie délicate et délicieuse, visuellement très drôle, une jolie réflexion sur la fraternité, peut-être même sur le couple.

On est loin des situations extrêmes, des plaisanteries graveleuses ou de l’humour pipi caca que le sujet pouvait autoriser. Contre toute attente, «Stuck on You» est un film sur les sentiments. A l’origine, le projet devait se faire avec Jim Carrey et Woody Allen (qui demandait trop d’argent). C’est dire si la crédibilité n’est pas l’obsession des Farelly dans cette histoire de frères siamois – «Non, Américains!», rétorquent-ils.

Walt (Greg Kinnear, enthousiasmant et déjà repéré dans «Autofocus»), play-boy extraverti, et Bob (Matt Damon), introverti modeste, sont reliés l’un à l’autre par un foie unique. Une séparation chirurgicale risquant de coûter la vie à Walt, les jumeaux de 32 ans ont fini par accepter de bonne grâce cette bizarrerie congénitale.

Tout va formidablement bien jusqu’au jour où Walt manifeste le désir de devenir comédien professionnel. Il veut tenter sa chance à Hollywood. A l’inverse, Bob n’aspire qu’à rester derrière ses fourneaux et derrière son ordinateur. Monter sur scène l’angoisse à chaque fois – car il est obligé de jouer avec son frère, ou plutôt dans son dos. Les scènes de comédie sont d’ailleurs parmi les plus hilarantes du film.

La manière dont les Farrelly installent toutes ces aberrations physiologiques et psychologiques est réjouissante. Le couple de siamois y est donné comme une évidence, leur relation au monde n’est jamais compliquée et leur environnement disposé à les aimer comme si de rien n’était.

Cette simplicité est aussi manifeste sur le plan technique: pas de chichis numériques dans cette comédie aussi foldingue que naïve. Les effets spéciaux relèvent plus de l’accessoire de théâtre, un faux ventre en caoutchouc, que d’une sophistication technologique. Comme ils filment l’Amérique ringarde avec empathie, les cinéastes abordent leurs créatures de plain-pied, sans fausse pudeur, par leurs aspects les plus triviaux. Que fait Bob quand Walt baise? Comment vont-ils aux toilettes? Comment Bob peut-il expliquer à son amoureuse rencontrée sur Internet l’omniprésence de son ami à chacun de leurs rendez-vous? Ces questions, les Farrelly réussissent à les résoudre par le rire. Mais pas seulement.

Entre Walt le solaire fragile (il lui manque le foie) et Bob le lunaire costaud, tout n’est qu’attention, compromis affectueux, discrètes délicatesses. Ces deux-là s’aiment tellement qu’ils sont prêts à se séparer, peut-être même à mourir sur la table d’opération, pour ne pas faire souffrir l’autre, lui faire rater sa vie.

En dépit de sa dynamique de pure comédie, l’enjeu du film demeure l’étrange lien, à la fois fusionnel et encombrant, qui unit les siamois. Car si leur corps est burlesque, source inépuisable de gags, il est aussi un des plus tragiques que l’on puisse imaginer: une véritable impasse. Comme on le dit de la passion: ni avec, ni sans l’autre!

Les frères Farrelly ont réussi quelque chose de magnifique dans «Stuck on You»: mettre des images sur l’impression de manque, donner une expression visuelle à cette absence de l’autre et en tirer beaucoup d’émotion tout en restant dans le comique de situation. Par moment, «Stuck on you» fait penser à «Freaks» de Tod Browning, même regard tendre, cru, généreux sur les «monstres», même amour à les filmer, des plus naturels ou plus artificiels comme Cher, prototype spectaculaire de la monstruosité chirurgicale. La comédienne se prête à une autoparodie hilarante qui lui fournit aussi un de ses meilleurs rôles au cinéma.

L’histoire du cinéma a souvent été une histoire de frères, en tout cas de couple. Dès l’origine, il y eut les Lumière et les Warner, puis les Taviani, les Coen, les Kaurismäki. Les Farrelly, aussi potaches soient -ils, prennent très au sérieux ce lien familial, cette intimité historique, cette incongruité génétique puisque «Stuck on You», écrit en 1990, est le premier scénario qu’ils ont voulu tourner pour Hollywood. Comme si les frangins avaient souhaité, dès le départ, sceller leur alliance contre toute forme d’adversité à venir. On leur souhaite beaucoup de bonheur.