Ouvrir une nouvelle ligne aérienne entre Washington et Kaboul: l’idée est venue à Waleed Youssef après un voyage entre les deux capitales qui avait duré… 38 heures. C’est à ce moment-là que le jeune consultant s’est dit qu’il pouvait faire quelque chose pour participer à la reconstruction de l’Afghanistan. Appelé par le gouvernement afghan pour évaluer les besoins de son secteur aérien civil, il a pu constater sur place les difficultés liées à l’absence de liaisons directes avec l’Occident.
«Les employés de l’ONU ont interdiction d’emprunter les vols de la compagnie afghane, pour des questions de sécurité. Cela les contraint à suivre des itinéraires absurdes», explique-t-il.
Pour séduire une clientèle très consciente des risques, mais prête aussi à payer le prix fort pour un service efficace, Waleed Youssef ne lésine pas sur les moyens. Avec un tarif prévu de 3’500 dollars pour un vol Genève-Kaboul en classe affaire, ou 7’500 dollars depuis Washington, sa compagnie, Swiss Skies, prévoit la présence d’un «air marshall» armé à bord de chaque vol ainsi que d’un mécanicien avec son stock de pièces de rechange, histoire d’éviter de rester bloqué sur place en cas de panne. Une zone spéciale de l’aéroport de Kaboul est réservée à son MD-11, qui n’y restera que quelques heures sans même faire le plein.
Le marché pour une ligne Washington-Genève-Kaboul n’est pas négligeable. «Entre la Banque mondiale, les Nations Unies, les ONG et les diverses agences fédérales américaines, environ deux cents personnes font le voyage chaque semaine entre Kaboul, l’Europe et les Etats-Unis», estime Kevin Mitchell, président de Business Travel Coalition, qui regroupe des voyagistes américains.
Swiss Skies proposera également à ses clients un service de protection rapprochée pour la durée de leur séjour, assurée par des ex-Gurkhas anglais. «Deux audits indépendants sur les conditions de sécurité nous ont contraints à reporter l’ouverture de la ligne au mois de mars», explique Waleed Youssef.
Lorsqu’il s’est mis en quête d’un financement pour son projet, Waleed Youssef disposait déjà de quelques bonnes adresses. Cet Américain d’origine égyptienne s’était fait connaître en mars 2002 pour avoir mené un mystérieux groupe d’investisseurs qui s’était proposé de racheter Swissair et Crossair, alors au plus mal, pour 1,25 milliard de francs suisses. Son projet, Springtime, avait été reçu plutôt fraîchement par l’équipe en place, qui lui avait préféré le plan financé par la Confédération.
Avec quelques investisseurs récupérés du projet Springtime, l’entrepreneur a alors réuni deux millions de dollars et obtenu un prêt pour deux autres millions d’une agence américaine, l’OPIC, chargée d’encourager les échanges économiques avec l’étranger «en accord avec la politique extérieure américaine».
Rebaptisée Swiss Skies SA, sa société a engagé une dizaine de personnes, pour la plupart ex-employés de Swissair, notamment un ancien directeur des opérations.
Restait encore à trouver une compagnie aérienne partenaire qui puisse lui louer un avion et un équipage. Swiss a été approchée mais a fini par renoncer. C’est finalement l’américaine World Airways qui a été retenue: cette compagnie de charter s’est fait une spécialité des liaisons difficiles avec des pays en guerre, et entretient depuis sa fondation en 1948 des rapports étroits avec l’armée américaine. De l’évacuation des réfugiés hongrois en 1956 aux transports de troupes vers le Vietnam, elle n’a jamais manqué de contrats du gouvernement américain jusqu’en 2003, année où, en quasi-faillite, elle a été sauvée in extremis par le déclenchement de la guerre en Irak.

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Dans les bons papiers du Pentagone, World Airways a récemment obtenu une concession pour opérer un vol vers Bagdad, également avec une escale à Genève, ce qui laisse Waleed Youssef sceptique: «Ouvrir une ligne vers Bagdad est actuellement impossible, notamment à cause des attaques de missiles portatifs, mais pas seulement. La clientèle des organisations internationales et des hommes d’affaires est indispensable pour rendre viable une telle liaison. Et contrairement à l’Afghanistan, ils ne sont pas prêts de mettre les pieds en Irak.»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 15 janvier 2004.