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Bientôt les frappes chirurgicales

Une petite révolution se prépare dans la publicité au cinéma. Les spectateurs n’y verront que du feu, mais les annonceurs et les diffuseurs en attendent beaucoup. Car le saut technologique qui s’annonce leur apportera une grande flexibilité et un ciblage plus précis du public, ce qui dopera le marché. Projetés jusqu’ici sur des bobines de 35 mm ou de simples diapositives, les spots seront dès cet été numériquement diffusés depuis une centrale dans l’ensemble des salles du pays.

Derrière cette importante avancée, on trouve désormais un acteur unique sur le marché suisse: l’entreprise Cinecom, qui vient d’avaler son homologue romand Mediavision le 15 janvier. «Il y a 560 salles de cinéma en Suisse, dont 500 diffusent de la publicité. Nous les gérons désormais toutes, annonce fièrement Matthias Luchsinger, directeur de Cinecom. Je ne considère cependant pas mon entreprise comme un monopole car le cinéma ne représente qu’un acteur minoritaire sur le marché de la publicité: il totalise seulement 1% des dépenses annuelles des annonceurs.»

En reprenant les 100 salles romandes gérées par Mediavision, Cinecom pourra uniformiser son offre, ce qui facilitera d’autant l’acquisition de clients. Mais c’est surtout le passage au numérique qui changera la donne. Grâce à un PC et à une ligne à haut débit (ADSL), les films publicitaires seront bientôt téléchargés dans chaque salle de cinéma pendant la nuit, depuis une centrale unique. Ils seront ensuite projetés sur l’écran au moyen de «beamers» haut de gamme.

Cette gestion informatique permet d’offrir une sélection très précise des spots, avec des programmes différents pour chaque salle, et même chaque projection. Les annonceurs pourront ainsi opérer des «frappes chirugicales» sur le public visé. «C’est l’avantage principal, explique Matthias Luchsinger. L’annonceur peut envoyer son spot au dernier moment, le jour même, pour une diffusion le soir. Ainsi, un journal comme L’Hebdo aura la possibilité de diffuser le mercredi soir un spot avec les gros titres de son édition du jeudi. L’annonceur pourra aussi choisir de diffuser son film uniquement avant des films d’action ou des romances. Cela étend notre offre de manière considérable.»

Les investissements, qui s’élèvent à environ 10 millions de francs, seront pris en charge essentiellement par Cinecom, et dans une moindre mesure par les exploitants de salles. Mais le numérique permettra ensuite de réduire les frais de production: pour chaque campagne, l’annonceur n’aura plus besoin de fabriquer 500 à 1000 copies de bobines pour une campagne nationale, ce qui lui permettra d’économiser de 10 à 20’000 francs. Un montant non négligeable, d’autant que le budget des petites productions publicitaires suisses dépasse rarement les quelques dizaines de milliers de francs.

«Avec des coûts de production plus bas, une plus grande flexibilité et un ciblage précis, le cinéma se rapprochera en fait beaucoup de la télévision, évalue Mickaël Bonenti, média-planner chez Publimedia. De nouveaux annonceurs commenceront à s’y intéresser.» Le patron de Cinecom confirme: «Par exemple, Procter & Gamble ou Nivea, qui ne diffusent pas de spots au cinéma, nous ont déjà dit qu’ils viendront quand nous offrirons ce booking flexible. Ils apprécient de pouvoir agender des campagnes avec la même précision qu’à la télévision, et sans coûts de production supplémentaires.»

Pour Charly Schwarz, conseiller en publicité indépendant, le numérique développera par ailleurs le concept de «product placement», qui consiste à associer la promotion d’un produit à un film. Une pub pour les chaussures de sport Asics Onitsuka Tiger – celles que porte Uma Thurman dans «Kill Bill» — pourraient ainsi apparaître avant chaque projection du film de Tarantino.

En Norvège, où la diffusion numérique existe depuis deux ans, le marché de la publicité au cinéma a augmenté de 30%. Cinecom se donne trois ans pour observer une croissance similaire en Suisse. Une évolution qui fera passer le grand écran à 1,3% du marché total de la pub. «Cette progression se fera surtout au détriment de la télévision, le cinéma devenant l’équivalent d’une fenêtre sur une chaîne étrangère, estime Mickaël Bonenti. C’est donc la SSR qui devrait anticiper cette nouvelle concurrence.»

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 22 janvier 2004.