La présidentielle américaine prend une tournure nettement plus engageante depuis que David Kay a demandé une enquête indépendante sur les dérapages du clan Bush.
Tony Blair plastronne depuis que les conclusions officielles du rapport Hutton sont tombées. On ne saurait lui en vouloir: il fait son métier. Et cherche à faire oublier que, malgré ce succès relatif et celui obtenu la veille au parlement britannique contre les opposants issus de sa propre formation, il est en perte de vitesse et ne survit politiquement qu’en raison de la faiblesse exceptionnelle des conservateurs. Ainsi va la démocratie d’alternance…
Reste le fait que sur le fond du problème, rien n’est résolu. Pour deux raisons au moins. La première parce que le juge Hutton, loin d’être indépendant, est le sauveteur patenté du gouvernement britannique quelle que soit sa couleur.
Dans les années 1980, il couvrait en tant que premier magistrat de l’Irlande du Nord les méfaits de l’armée occupante. En 1999, il ne ménagea pas son soutien au général Pinochet que la police anglaise avait arrêté. Dans une autre affaire, il défendit les services secrets impliqués dans des activités illégales.
La deuxième raison est que sur les causes de la guerre en Irak, rien n’est résolu. Les mensonges gouvernementaux critiqués ou non par la BBC restent eux bien réels. L’intervention militaire anglo-américaine, puis l’occupation de l’Irak et enfin les commissions d’enquête envoyées sur place n’ont pas permis d’établir la possession par l’Irak d’armes de destruction massive. Donc, en prétendant que Saddam pouvait les activer en 45 minutes, Tony Blair a menti. Ses compatriotes ne s’y trompent pas qui estiment à 56% que le rapport Hutton est inéquitable.
Mais le premier ministre a gagné quelques mois. Quand on est au pouvoir, c’est toujours précieux. Une nouvelle enquête réellement indépendante exigée par la gauche de son parti risque de ne pas lui être aussi favorable.
A Washington, George W. Bush, confronté au même soupçon, doit suivre l’affaire de près. La démission de David Kay, le patron des experts chargés de découvrir les ADM en Irak, le laisse complètement à découvert. Et place de surcroît les nombreux services secrets étasuniens au cœur de la tourmente. Sous le coup d’une double accusation: ils seraient à la fois incompétents et menteurs.
Et David Kay de demander lui aussi une enquête indépendante sur les dérapages qui ont permis au gouvernement de Bush de déclencher une guerre aussi difficile sur la base de fausses indications. Comme le président Bush est soumis à réélection dans dix mois, il est probable que la vérité va se frayer une petit sentier au milieu des flonflons de la campagne électorale.
En attendant, ce sont les médias qui trinquent. La BBC, décapitée, est en pleine crise. Gageons que demain, les grands titres étasuniens, ceux qui font l’actualité politique, seront eux aussi fortement secoués par les enquêtes à venir. N’ont-ils pas gobé sans broncher pendant quelques mois toutes les vérités officielles répandues par les officines gouvernementales?
Car il est surprenant, en dehors de tout discours idéologique ou de prise de position face à la guerre, de constater que des journaux aussi connus pour la qualité de leurs enquêtes et l’indépendance de leur esprit que le New York Times ou le Washington Post puisse décrire imperturbablement les armements prétendus d’un pays qui, ruiné et exsangue depuis 1991, n’en possédait plus.
Bush a toujours l’avantage pour la prochaine présidentielle, mais cette affaire de mensonge d’Etat que personne ne peut plus nier va le plomber au cours des prochains mois. Surtout si John F. Kerry, le nouveau JFK, parvient à réunir autour de lui l’artillerie lourde des clans Clinton et Kennedy.
Cette campagne présidentielle qui s’annonçait morne et somnolente prend une tournure nettement plus engageante.
