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L’erreur fatale des indépendantistes catalans

L’Espagne est en campagne électorale pour renouveler son parlement, le 14 mars prochain. Aux dernières nouvelles (25 janvier), les sondages donnent le Parti populaire, au pouvoir depuis huit ans, comme le vainqueur probable avec environ 43 % des voix contre 37% aux socialistes, soit quasiment la majorité absolue en sièges.

Même sans Aznar, qui ne se représente pas, les conservateurs maintiennent leur avance, portés qu’ils sont par ce que les médias appellent le miracle économique espagnol. Une ombre au tableau toutefois: les indépendantismes basques et catalans.

On connaît la question basque et la lutte sans merci que se livrent l’ETA (avec le soutien de partis locaux) et le gouvernement central. L’indépendantisme catalan était jusqu’à maintenant plus discret, gelé qu’il était par les victoire électorales à répétition des nationalistes conservateurs de Jordi Pujol — lequel, après un règne de 23 ans, a pris sa retraite à la fin de l’année dernière. Les élections régionales de novembre ont confirmé le poids des nationalistes de droite et de gauche. Mais les adversaires du parti de Pujol ont pu profiter d’un léger déplacement de voix vers la gauche pour constituer une coalition gouvernementale de gauche.

Le 15 décembre, l’ancien maire de Barcelone, le socialiste Pasqual Maragall, prenait ses fonctions de président de la Generalitat — le gouvernement provincial — et annonçait la formation d’un gouvernement de gauche regroupant le parti socialiste catalan (PSC), Esquerra Republicana de Catalunya (ERC, gauche républicaine indépendantiste) et Esquerra Unida i Alternativa-Iniciativa per Catalunya Verds (EUA-ICV, communistes et écologistes).

Nommé premier ministre, Josep Lluis Carod-Rovira, leader des nationalistes républicains, est un personnage haut en couleur. A 51 ans, cet ancien professeur d’université, chaleureux et exubérant, licencié en philologie catalane et secrétaire général d’ERC, se donne des airs de révolutionnaire latino à l’ancienne. Pendant la campagne électorale, il répétait meeting après meeting: «Nous voulons sortir de l’Etat espagnol. Est-ce clair?» Et ajoutant: «Nous pourrions être comme le Luxembourg. Il compte six fois moins d’habitants que la seule ville de Barcelone, mais il gère ses propres affaires et personne n’y trouve rien à redire.»

Il n’a fallu à cet indépendantiste pur et dur que quelques jours pour commettre une erreur fatale. Le 5 janvier, à Perpignan, il rencontrait la direction de l’ETA pour, semble-t-il, négocier avec elle le soutien politique de son gouvernement aux revendications basques contre Madrid en échange d’une renonciation à commettre des attentats en Catalogne. Mais les services secrets d’Aznar rôdaient dans le coin et cette rencontre entre indépendantistes antiespagnols fait la une des journaux depuis le 26 janvier. Josep Lluis Carod-Rovira a été démissionné de son poste de chef du gouvernement mais reste ministre sans portefeuille.

Cette ouverture d’un second front indépendantiste en Espagne n’augure rien de bon. Il faut rappeler que Esquerra Republicana de Catalunya fut fondée en 1931, lors de l’avènement de la république espagnole, et que c’est en partie pour combattre ses activités séparatistes comme celles des basques que Franco fit son coup d’Etat et déclencha l’atroce guerre civile de 1936-1939. Nous n’en sommes heureusement plus là. Mais quand on entend certains discours indépendantistes, il est difficile de ne pas sentir poindre l’inquiétude.

Pour en prendre la mesure, rien ne vaut la littérature. Manuel Vasquez Montalban, le grand écrivain catalan mort il y a quelques semaines, nous donne dans un de ses derniers polars, «L’homme de ma vie» (Points-Seuil, 2003) quelques indications fort utiles pour comprendre la situation actuelle. Quelques allumés préparent dans l’ombre la succession du président Pujol. Pepe Carvalho, le détective chéri de Vasquez Montalban, se trouve mêlé à une sombre intrigue où il s’agit de créer des réseaux prêts à intervenir au moment de la chute de Pujol. Il y découvre une organisation, Région Plus, qui s’affaire à réunir sous une bannière fédéraliste les peuples européens sans Etats, dont les Basques et la Padanie de Bossi.

Entre deux recettes de cuisine catalane, une tombée d’Opus Dei, un zeste de CIA, le lecteur est entraîné dans les arcanes d’un monde de cinglés qui, trop souvent hélas, arrivent réellement au pouvoir, ainsi qu’on l’a vu récemment en Yougoslavie. La lecture du bouquin est décapante, la réflexion qu’il suscite au vu de l’actualité angoissante pour qui aime flâner sur les Ramblas.