LATITUDES

Le jaune revient. Les blondes ne lui disent pas merci

Du canari au citronné en passant par le safran et le sulfuré, toutes les gammes de jaune marquent un retour en force sur la planète mode.

Vous n’y échapperez pas. Après des années de purgatoire, la couleur jaune revient en force sur la palette mondiale. Longueur d’onde: autour de 580 nanomètres, quelque part entre le canari des îles et le taxi new-yorkais. Ce printemps, et surtout cet été, les rayons des boutiques fleuriront comme autant de bouquets de jonquilles dans un bureau de poste.

L’une des premières manifestations de cette tornade jaune a été observée à l’automne dernier, lors de la sortie de «Kill Bill» de Tarantino. Le cinéaste, considéré comme l’un des plus efficaces prescripteurs de tendances, avait choisi de placer son nouveau film sous le signe du jaune en offrant à son héroïne Uma Thurman une paire de baskets et deux combinaisons aussi sulfurées que celle de Bruce Lee dans «Le Jeu de la Mort». Jusque là considéré comme la couleur des cocus, des bêcheuses et des briseurs de grève, le jaune est redevenu cool.

Il n’en a pas fallu davantage pour déclencher des pulsions d’achat chez certaines spectatrices. Parmi elles, Veronica, 42 ans. Dès l’apparition du générique de fin, elle a voulu savoir. «C’est quoi la marque de ces baskets jaune?» Réponse: Asics, mais il était déjà trop tard pour espérer en acquérir une paire. «Tous nos modèles Asics Onitsuka Tiger de couleur jaune ont été vendus d’un coup dès la sortie du film, indique la vendeuse d’un magasin de sport de Chamonix. C’est l’effet Kill Bill.»

Aussi puissant soit-il, cet effet «Kill Bill» n’a été qu’un agent parmi d’autres dans la réhabilitation du yellow. Car pendant que Tarantino tournait son film, les créateurs de mode planchaient déjà sur leurs gammes. La tendance est apparue clairement lors des défilés «été 2004» présentés à Milan, New York et Paris: on a pu repérer le même jaune pâle chez Prada et Chanel; le même jaune de Naples chez Louis Vuitton et Alexander McQueen; le même jaune poudré — «un jaune qui tire vers le vert anis», précise une spécialiste — chez Galliano, Rick Owens et Martine Sitbon; le même jaune coing chez Stella McCartney et Jil Sander. Sans oublier Michael Kors, DKNY et Ralph Lauren qui ont, chacun à sa manière, décliné diverses gammes de jaune tendre.

Moins discrète, comme à son habitude, Donatella Versace a opté pour la robe-bustier couleur stabilo-boss, alors que les marques Gucci et Costume National ont préféré la jouer pissenlit, presque poussin. «Ça ne fait aucun doute, le jaune sera la couleur de cet été, même si les créateurs savent bien qu’avec du jaune, ils risquent de s’aliéner toutes les blondes», remarque Stéphane Bonvin, spécialiste de la mode au magazine Edelweiss. Confirmation par le magasin genevois Septième Etage, toujours aux avant-postes des tendances: «On trouve cette année tous les tons de jaune, depuis le canari jusqu’au citronné: des tons pastels, style lollipop, mais pas pop», résume Katharina Sand, la propriétaire.

Deux signes qui ne trompent pas sont apparus dans la presse parisienne de février: la couverture de Vogue est baignée de jaune safran (avec la top model Erin Wasson en Louis Vuitton) alors que le mensuel Jalouse présente son «obsession du moment, l’objet culte de demain»: une besace trench-messenger dessinée par Emma Hill pour Gap, dans la couleur que vous devinez. Preuve irréfutable que cet objet va définir la saison: «la top Anouck Lepère l’a porté sur les affiches du monde entier».

Les délais entre défilés et approvisionnement de masse étant désormais réduits au strict minimum, la tendance jaune apparaît déjà dans les magasins d’entrée de gamme. «Il y a beaucoup d’articles jaunes dans tous nos nouveaux assortiments, confirme Céline Glauser, chargée de communication H&M à Genève. Dans les habits, avec des dos-nus, des sweat-shirts et des blouses, mais aussi dans les accessoires, ceintures, foulards et petits sacs années 50: il y a du jaune partout, y compris dans les tongs et les ballerines.»

«Au début, on se posait des questions, parce que le jaune n’est pas évident à porter, poursuit-elle. Nous nous demandions si ça allait marcher. On s’aperçoit maintenant qu’il y a une très forte demande, et cela dans toutes les tranches d’âge. Les ventes sont excellentes. On peut déjà dire que les dames achèteront plutôt des jaunes pastels et acidulés ce printemps, et plus on ira vers l’été, plus ce sera des jaunes soutenus. Chez les adolescentes, les jaunes seront plus flashy, mais jamais fluo.»

L’apparition simultanée du jaune cette année dans toutes les gammes de prix s’explique par le fonctionnement du marché de la confection: les créateurs, tous secteurs confondus, s’inspirent généralement des même études effectuées par les bureaux de style. Le plus célèbre d’entre eux, le bureau Edelkoort, édite diverses publications qui annoncent les motifs et les couleurs des prochaines saisons. «Ah oui, nous avions effectivement annoncé le retour du jaune l’année dernière, ou celle d’avant», se souvient la styliste neuchâteloise Valentine Ebner, consultante pour le bureau Edelkoort à Paris. Selon elle, le style de 2004 aura quelque chose de doucement fruité: «On verra beaucoup de pastels, avec des petits pois très travaillés, des nids d’abeille et des fleurs subtiles, japonisantes, mais réinterprétées à la sauce européenne. C’est un style néo-romantique, hypersage, presque enfantin, genre habits du dimanche. Beaucoup de sobriété.»

Le retour du jaune n’a donc rien de tapageur. «Le style pute-porno, c’est vraiment fini», ajoute la styliste. Ce que confirme Stéphane Bonvin: «Le bitchy-military est out-out-out. On assiste a un retour de la sagesse, avec un côté années 50 et des petits nœuds partout.»

Même analyse chez H&M: «Cette vague de jaune s’intègre non seulement dans le style des années 50, qui marche très fort, mais aussi dans le grand retour des couleurs vives.» Car à côté du jaune, on observe une résurgence du vert et de l’orange. Une réhabilitation des couleurs pétantes que Ben Gomes, du bureau de tendances OPR à New York, interprète comme un changement d’époque. «C’est une transition majeure. Après le 11 septembre 2001, nous étions préoccupés, nerveux, mal à l’aise. Maintenant, nous voulons recommencer à rire et à nous amuser.»

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 4 mars 2004.