LATITUDES

Tabassée par des adolescentes

Lors d’un bal, à la fin de l’année dernière, deux filles étaient agressées par des gamines de 15 à 17 ans dans le canton de Vaud. Elles ont déposé plainte. Nous avons recueilli le témoignage de l’une d’elles.

Les bagarres entre adolescents semblent se multiplier et elles ne se limitent pas aux garçons. Le vendredi 6 février, sept garçons et deux filles, tous âgés de 14 à 16 ans, ont violemment agressé deux collégiens à la gare d’Orbe (VD). La police a pu les appréhender.

Quelques semaines plus tôt, cinq gamines de 15 à 17 ans étaient inculpées pour lésions corporelles et voies de fait. Elles avaient agressé deux filles lors d’un bal dans le canton de Vaud à la fin de l’année dernière. Leurs procès sont en cours. L’une des victimes, âgée de moins de vingt ans, a accepté de nous raconter dans le détail ce qui s’est passé. Nous reproduisons ici son récit, dans les mots qu’elle a utilisés.

«Il est environ 23 heures, nous dansons dans la grande salle. On est quatre copines sur la piste. Comme il y a encore peu de monde, nous avons de la place pour danser. Un peu plus loin, il y a un autre groupe: cinq ou six filles. A un moment, elles viennent nous bousculer en dansant. Je vois bien qu’elles le font exprès: il y a assez de place pour tout le monde. Nous faisons comme si de rien n’était. Mais elles insistent, elles continuent à nous bousculer. Et là, je me retourne et je leur dis de se calmer. Plusieurs fois.»

«Mon erreur, c’est de les fixer une seconde de trop. Elles me tombent dessus. L’une d’elles me traite de paysanne. Le premier coup que je reçois, c’est un coup de pied dans le ventre. Et puis, elles me donnent des baffes et des coups de poing. Ça se passe très vite. Les sécus (agents de sécurité, ndlr) sont aux entrées, ils n’ont rien le temps de faire. Je me retrouve à l’autre bout de la salle, je ne sais pas comment. Pour ne pas tomber par terre, je m’agrippe aux cheveux d’une des filles qui me tapent dessus. C’est celle-là qui me crache au visage à la fin. Je n’ai pas l’idée de me défendre, et pourtant je fais du judo depuis plusieurs années.

J’ai mal, et je suis vraiment choquée, mais je décide de rester à la fête. Je fais semblant de m’amuser. Les filles qui m’ont tapée sont encore là. Un peu plus tard, pendant la même soirée, elles agressent une autre fille. Elles la brûlent avec une cigarette. L’autre fille a aussi déposé plainte. Je ne la connaissais que de vue, mais là, maintenant, on est devenu copines. On se voit au tribunal et dans d’autres endroits plus réjouissants.

Vers quatre ou cinq heures du matin, on m’a ramenée en voiture. Ma maman était réveillée, je lui ai raconté. Elle m’a dit «tu aurais dû nous appeler». Je ne voulais pas déposer plainte. Pour moi, c’était pas grave. Je m’en rends compte maintenant: j’ai eu tellement de chance de ne pas tomber par terre… Le père d’une copine, qui est gendarme, m’a dit d’aller au centre médical faire un constat. Avec l’infirmière, je n’ai fait que pleurer, et à un moment j’ai cru qu’elle aussi, elle allait pleurer.» (Extrait du rapport médical: «Hématome au dessus de l’arcade sourcilière gauche, tuméfaction de la base du nez, suspicion de fracture du nez, douleurs au bras gauche et au bas ventre, angoisse, stress post-traumatique.»)

«Ensuite, pendant une période, je n’ai fait que dormir. Et je suis aller chez le médecin parce que j’avais toujours des migraines. Comme mes parents ont insisté, j’ai déposé plainte contre X. Les filles ne sont pas jugées ensemble, alors je dois retourner au tribunal chaque fois et répéter la même chose. Je les vois arriver toutes sages, avec leur maman… On dirait des petites saintes. Leurs mères n’essaient pas de minimiser: elles disent qu’elles ne sont pas d’accord avec ce que leurs filles ont fait.

L’autre jour, au tribunal, une des filles a reconnu qu’elle m’a tapé, soi-disant parce que j’avais gueulé sur son autre copine. Alors que c’est elle qui avait commencé. Elle avait 15 ans au moment des faits. Le juge lui a dit «mais qu’est-ce que tu faisais dans un bal?» Ça m’a fait plaisir qu’il dise ça. Ces filles, je n’ai jamais eu l’occasion de leur parler directement au procès. On nous l’a pas proposé. Une ou deux sont connues de leurs services.

Ces filles, c’est de la racaille. Elles n’ont aucun respect. Entre nous, on les appelle les yo’tes, comme les yo pour les garçons. C’est un peu une bande. A mon avis, ils sont trop bien habillés pour ces soirées de jeunesse. Des fois, certains disent «interdit aux crocodiles», parce qu’ils ont des habits de marque, des Lacoste par exemple. Nous, on vient en baskets, avec des pulls de jeunesse. Eux, ils sont moins naturels. Ils essaient de jouer plus vieux.

Dans ces soirées, il arrive qu’on boive. Mais le soir où je me suis fait taper dessus, je n’avais pas bu. Il y a souvent du grabuge dans ces soirées de jeunesse. A cause du train, qui amène souvent des jeunes de l’extérieur. En général, ça commence par un pogo, ils se bousculent et ça déclenche une bagarre. J’ai peur qu’un jour ça se passe très mal. J’ai peur des miens. Il n’y aurait pas besoin de les chercher beaucoup pour qu’ils se vengent.

Dans ces jeunesses, on accepte n’importe qui. Il y a des skins qui viennent, ce qui ne dérange personne. Parfois, certaines musiques sont interdites, comme le hardcore ou le hip hop. Mais cela dit, tous les gens qui écoutent ces musiques ne sont pas violents. Il ne faut pas faire de généralisation.

Les filles qui m’ont attaquée ont pu être identifiées grâce aux photos prises pendant la soirée. Ces photos étaient sur le site de la discomobile, et je les ai reconnues. Une, je l’ai reconnue dans le regard. Elle a un de ces regards de haine… Je peux pas l’oublier. Vraiment, toute cette affaire, je ne comprends pas. Je n’arrive pas à comprendre ce qu’il y a dans leur tête. Maintenant, quand je suis toute seule en ville, je ne suis pas tranquille.»

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 4 mars 2004.