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L’Europe ne supporte plus l’arrogance helvétique

Nous avons la chance en Suisse d’avoir des médias libres, diversifiés, originaux. Et nous en sommes fiers. Ainsi, alors que la crise économique fait encore rage malgré les propos lénifiants distillés par tout ce que les administrations communales, régionales, cantonales, fédérales et j’en passe, comptent de chargés de communication, de porte-parole, de confidents, voici que de hardis confrères ont le courage de lancer sur le marché un nouveau quinzomadaire rigoureusement privé de toute information. Ça, coco, c’est le luxe absolu!

Et pour bien montrer que c’est du luxe, ils le vendent 6.- francs, soit, au cours de ce jour, 4,67 dollars. Il est communément admis que près des deux tiers des habitants de la planète doivent se contenter d’un dollar quotidien pour survivre…

Mais qu’en est-il de la presse installée, des journaux d’audience internationale, de notre télévision, de notre radio, de tous ces médias moins luxueux et prétendument plus efficaces? Un événement me fait piaffer d’impatience depuis quelques jours. C’est l’espèce de blocus imposé par les douanes allemandes dans la région de Bâle où les douaniers appliquent rigoureusement les prescriptions Schengen pour les pays non-membres de l’UE.

Dès que j’ai entendu parler de ces mesures, je me suis dit que l’UE entrait en guerre avec la Suisse. J’ai rigolé un instant in petto en pensant que nous étions désormais traités comme les Moldaves et les Biélorusses. Puis je me suis mis à imaginer ce qu’il se passerait si l’UE, vraiment fâchée, accordait ses violons et introduisait ces contrôles à toutes nos frontières. Qu’adviendrait-il du Tessin? Que se passerait-il à Genève?

Or au moment où j’écris ces lignes (10.03.04 10:35 CET), je n’ai pas encore lu une ligne d’analyse sérieuse sur la question. Les TJ romands et tessinois le présentaient hier soir comme un fait divers. Sur la DRS, l’émission 10 vor 10 aussi, mais avec un plus: une interview du ministre allemand des Finances, Eichel, qui, la mine renfrognée, disait qu’il fallait chercher du côté des négociations en cours sur la fiscalité de l’épargne. Pas de commentaire non plus.

Ce matin, je me précipite sur Le Temps pour trouver en page 7 un article intitulé «L’UE n’est plus aussi ferme dans son bras de fer fiscal avec la Suisse» (rien de plus faux: les négociations sont au point mort et les Européens vraiment fâchés). Et, à la page suivante, un gentil papier envoyé par son correspondant berlinois sur les contrôles bâlois. Sans commentaire d’aucune sorte. Le Tages-Anzeiger de ce matin fait un petit effort, mais rien de transcendant.

Le fond du problème? Il est pourtant clair: depuis des mois, les responsables européens ne cessent de répéter qu’ils en ont marre de la suffisance, de l’arrogance et des prétentions helvétiques. Ils en ont marre de jouer au chat et à la souris avec des gens qui se croient plus finauds qu’eux. Ils en ont ras-le-bol de devoir sans cesse reprendre des négociations qui paraissaient abouties. Ils en ont par-dessus la tête des tergiversations de ces gens que naguère on appelait les gnomes de Zurich.

Ils veulent que la Suisse signe tout de suite l’accord sur la fiscalité de l’épargne. Ils veulent que la Suisse signe le traité de Schengen sans prétendre en modifier l’article 51 qui inquiète tant M. Mirabaud et ses amis banquiers. Ils veulent que la Suisse signe l’accord sur la fraude douanière, un accord de simple lutte contre la criminalité, afin que les trafiquants de cigarettes ne puissent plus faire perdre des milliards aux caisses européennes.

Magnanime, l’Union Européenne a gardé le sourire pendant de longues années de négociations comme il sied à des gens civilisés. Depuis quelque temps, elle montre les dents.

On aurait pu penser qu’après les vicissitudes de Kloten, nos élites dirigeantes avaient compris la leçon. Il n’en est rien. Il y a un mois, l’UE a ressorti de ses tiroirs une clause qui pénalise certaines de nos exportations. Personne n’a bronché, que je sache. Maintenant, elle bloque la frontière bâloise.

Blocher&Merz jouent les ingénus et se demandent pourquoi. L’ASIN ricane et propose en rétorsion de bloquer le Gothard. Pauvres types! Ces gens qui sont pour la plupart issus des cadres de l’armée ne sont même pas capables d’évaluer un rapport de force.

Je me souviens d’un célèbre discours de de Gaulle annonçant son refus d’accepter la Grande-Bretagne dans la Marché Commun. «Je la veux nue!», s’exclamait-il en se pourléchant les babines. L’Union Européenne ne nous veut même pas nus. Elle demande juste que nous respections la légalité d’un continent dont nous formons le cœur.