Aznarisation, tel est le nouvel épouvantail qui va hanter les nuits agitées des politiciens qui nous gouvernent. L’aznarisation, c’est le prix du mensonge, l’aller simple dans les poubelles de l’histoire, la mort subite politique.
Il y a longtemps qu’on l’attendait, cette revanche de la morale sur l’impunité des menteurs et des tricheurs qui pensaient que le contrôle des médias d’un pays, doublée de l’obséquiosité d’une caste de rédacteurs en chef soumis, leur permettait d’agiter à tout va des hochets démocratiques tout en bafouant la démocratie, en méprisant leurs administrés qu’ils prennent pour des imbéciles heureux.
Ce qui frappe surtout dans l’affaire espagnole, c’est la rapidité vertigineuse du retour de boomerang. J’y vois pour ma part un effet heureux de la mondialisation: l’information, à un certain niveau d’émotivité populaire, n’est plus contrôlable à une échelle nationale depuis que les moyens d’information n’ont plus de frontières grâce aux satellites, à l’internet, à la téléphonie.
Cette mondialisation provoque certes un repli citoyen favorisant, quand les choses vont bien, un désintérêt pour la politique qui se manifeste par la disparition du militantisme de base et une forte abstention lors des scrutins. Mais dès qu’une question capitale est en jeu — comme, à Madrid, la paix ou la guerre –, la mobilisation via SMS ou internet se fait à toute vitesse et déplace des foules immenses.
Demain, une tâche essentielle des politiques sera de prévoir ces mouvements populaires et de les prévenir en rendant leurs activités transparentes, morales, mais pas forcément d’une honnêteté aussi rigoureuse que celle d’un de Gaulle que son fils vient de rappeler au bon souvenir de ses concitoyens. Nos sociétés ne sont plus figées et acceptent volontiers des transgressions (les frais de bouche d’un Chirac par exemple) à condition que l’on n’essaie pas de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
Dans ce sens, Blair dont les mensonges à répétition sont dévoilés semaines après semaines, et Berlusconi, l’histrion péninsulaire dont la politique économique (on vient de l’apprendre) a provoqué l’an dernier une chute de 2,8% du PIB, devraient se faire du souci quant à l’avenir de leurs carrières respectives.
Mais, histoire de balayer devant notre porte, le Conseil fédéral devrait lui aussi se faire du souci. Sa gestion de la crise avec l’Union européenne est encore et toujours nulle. Les déclarations du président Joseph Deiss mardi dernier devant les Chambres sont d’un lénifiant à pleurer.
Or, comme je ne pense pas que le Conseil fédéral soit composé d’ingénus, de naïfs ou d’inconscients, Deiss et ses collègues ont forcément dû ébaucher au moins un semblant de stratégie pour répondre à ce qui est clairement une offensive européenne contre un élément récalcitrant et perturbateur totalement englobé dans son espace géographique.
Si la seule question des réexportations de marchandises vers l’Europe peut nous coûter des centaines de millions de francs et des milliers de poste de travail, il est évident que nos sept Sages s’en préoccupent. Ne serait-il pas intéressant de faire connaître le résultat de ces cogitations?
Refuser cette transparence, ce dialogue avec les citoyens, revient à les mépriser. Et à cacher une fois de plus le seul grand enjeu de notre politique: quand entrerons-nous dans l’Union européenne? Cette entrée peut encore se faire sur une base volontaire à condition de relancer sérieusement le débat en ne cachant aucun des éléments du dossier.
Sinon, sous la pression de nos puissants voisins, elle se fera de force dans les pires conditions avec toutes les conséquences politiques que cela impliquera, notamment l’émargination pour de longues années de toute voix helvétique dans le concert des nations européennes.
Blocher&Merz (et les banquiers qui les appuient) devraient revoir leur histoire et réfléchir sur le sort que les radicaux réservèrent aux conservateurs-catholiques après 1848: un demi-siècle de purgatoire politique.