Depuis l’arrivée des nouveaux permis pour ados, la vitesse des deux-roues n’est plus limitée par les constructeurs. Du coup, c’est en Suisse que l’on trouve les scooters les plus rapides d’Europe.
Ce fut un changement complet de direction. Il y a peu, la loi suisse était la plus restrictive d’Europe en matière de deux-roues: 45 km/h pour des scooters poussifs et des contrôles à tous les coins de rue sur le célèbre rouleau. Les adolescents regardaient avec envie leurs voisins français qui, grâce au laxisme de leur police, filaient sur des engins beaucoup plus rapides.
Et puis, en avril 2003, la Suisse a mis en vigueur une législation beaucoup plus souple: dès 16 ans, les jeunes peuvent désormais conduire un véhicule de 50 cm3 sans limitation de vitesse.
Et ils ne s’en privent pas: de fait, la Suisse est désormais le pays où les scooters roulent le plus vite en Europe. «Les engins qui arrivent sur le marché suisse sont complètement « débridés », c’est-à-dire que le moteur donne le maximum de sa puissance, explique Cédric Leuba du magasin Pro 2 Roues à Colombier (NE). Un bon scooter atteint désormais facilement 90 km/h. Et une petite moto de la même catégorie peut dépasser les 100 km/h.»
Par ailleurs, comme il n’y a plus de plafond de vitesse, la police ne contrôle plus les performances des deux-roues. «Nous avons rangé notre rouleau à la cave, dit le capitaine Christian Flüeli de la Police cantonale vaudoise. Les contrôles de véhicules maquillés sont devenus extrêmement rares.»
Du coup, la Suisse s’est transformée en «paradis de la maquille», comme dit Philippe Füllemann, ancien champion devenu spécialiste des deux-roues au TCS. «En France, la législation est devenue si sévère avec les lois Sarkozy que le matériel de compétition est désormais interdit de vente sans présentation d’une licence de pilote de course. Alors qu’en Suisse, il est légal d’acheter des pots d’échappement et autres kits pour augmenter les performances. Les Français viennent désormais s’approvisionner en Suisse alors que c’était l’inverse pendant des années…»
Symbole de cette évolution, le Championnat suisse de scooters connaît un succès grandissant. Lors de ces compétitions (qui ont paradoxalement lieu à Levier, en France, pour des questions d’autorisation), des scooters maquillés par des professionnels s’affrontent. «Je roule notamment sur un Peugeot Speedfight trafiqué qui monte à 140 km/h, dit fièrement François Cleusix, co-organisateur du championnat et patron du magasin FCX Bikes à Chêne-Bourg (GE). J’encourage les jeunes conducteurs à ne pas faire les fous sur la route, c’est pour ça que j’organise des courses sur circuit.»
Le pilote commercialise dans son magasin l’équipement qu’il utilise pour maquiller les engins de son écurie. Et il est clair que ses clients ne roulent pas que sur des circuits.
«Je les mets en garde et je demande des autorisations aux parents, explique François Cleusix. On importe le matériel d’Espagne. Un échappement de compétition, qui coûte environ 200 francs, permet de gagner pas mal de puissance et environ 10 à 20 km/h. Ensuite, c’est bien sûr le kit 70 cm3 qui donne les meilleurs résultats puisqu’il augmente la cylindrée de l’engin. Il coûte environ 300 francs et s’installe sans trop de difficultés si on s’intéresse un peu à la mécanique.»
Les engins les plus rapides du marché ne sont pas des scooters mais des petites motos 50 cm3 comme l’Aprilia RS ou la Peugeot XR6, toutes deux équipées d’un moteur italien Minarelli. Etagé en vitesses qui se changent au pied, le moteur de ces machines peut atteindre des vitesses impressionnantes, surtout une fois maquillées.
«On n’arrête plus tellement ces jeunes pour des contrôles techniques, mais on les choppe pour excès de vitesse, dit le porte-parole de la police genevoise Christophe Zawadzki. On vérifie parfois en cas d’accident. Là, il y peut y avoir des problèmes d’assurance car la responsabilité civile change si le véhicule a été maquillé.»
D’après les premiers chiffres des polices cantonales, le nombre d’accidents n’a pas augmenté depuis l’entrée en vigueur des nouveaux permis pour ados. «Nous sommes déjà inquiets et nous étions opposés à cette modification, dit Magali Dubois, porte-parole du Bureau suisse de prévention des accidents. Il y a une culture de la vitesse de plus en plus forte chez les jeunes et la loi ne les freine plus.»
Le TCS, lui, a défendu ces nouveaux permis: «Le jeune passe un vrai permis, et prend des cours, alors qu’auparavant, un simple permis provisoire sans aucun test préalable lui permettait de se jeter sur la route, explique Philippe Füllemann. De plus, les engins modernes ont énormément progressé. Ils possèdent des freins puissants et des pneus qui donnent une stabilité qui n’a simplement rien à voir avec la génération précédente.»
Il faudra attendre plusieurs années pour mesurer les effets concrets sur la sécurité. D’autant qu’on constate d’importants délais dans l’obtention des nouveaux permis et que le marché n’a pas atteint son nouvel équilibre. D’ailleurs, les constructeurs en souffrent: les ventes de scooters 50 cm3 ont chuté de plus de 18’000 pièces en 2002 à 12’500 l’an dernier, soit une baisse de 30%.
«Le prix du nouveau permis, avec la formation et les frais administratifs, approche les 1000 francs, ce qui décourage beaucoup de jeunes, regrette Jacqueline Etienne, chez Grandjean Distribution, qui importe notamment Peugeot. Beaucoup préfèrent attendre 18 ans et passer directement le permis voiture.»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 15 avril 2004.
