La Suisse sera-t-elle le dernier pays où les magazines sont distribués sans petit cadeau? A quand une boussole avec L’Hebdo ou un string avec Edelweiss? Nous leur avons posé la question.
La lecture n’est pas vraiment leur truc, mais Noémie et Laurence passent beaucoup de temps dans les kiosques. «On vient voir ce qu’il y a avec les magazines emballés sous cellophane», m’expliquent ces deux adolescentes lausannoises.
Trousse de maquillage, parfum ou string? Quels cadeaux la presse va-t-elle leur offrir? Cette semaine, j’ai inventorié: une bague et son écrin, des bracelets, une brosse à cheveux, un parfum, un déo, des post-it en forme de cœur, une mèche colorée, un crâne claqueur de dents (avec Picsou Magazine), un cube magique, un porte-clés, du mascara, une trousse de beauté ainsi que bon nombre de CD et de DVD.
Carmen Poirot, qui travaille depuis cinq ans chez Kiosk AG à Neuchâtel, se souvient: «Ce phénomène est parti d’Italie. Des magazines comme Donna et Grazia avaient toujours un petit quelque chose pour tenter les clientes. Mais regardez, aujourd’hui la presse italienne a laissé tomber cette pratique. Il n’y a plus rien.»
Entretemps, le phénomène a contaminé l’Espagne et le Portugal, où une revue de foot a été distribuée avec quelques centimètres carrés de la pelouse du Benfica Lisbonne! En Allemagne et en France, les cadeaux accompagnent plus spécialement la presse destinée aux enfants, aux jeunes filles et, depuis peu, aux femmes.
Le magazine français Isa a entièrement écoulé un numéro récent grâce à son string en cadeau — imitant l’allemand Mädchen qui avait fait de même peu de temps auparavant. Même Elle a adopté cette technique commerciale: au début d’avril, la présence d’un mascara Nivéa a boosté ses ventes, au dire des vendeuses interrogées.
La Suisse échappera-t-elle à cette tendance presse-cadeau? Verra-t-on prochainement l’Illustré, l’Hebdo ou Edelweiss couvrir leurs lecteurs de petits gadgets? Du côté de Ringier Romandie, le directeur commercial Carlos Sanchez explique que l’idée d’offrir des cadeaux avec les magazines du groupe a été étudiée, puis écartée. «Nous avons la chance de ne pas être dans une logique de surenchère. Par ailleurs, le marché romand est trop étriqué pour permettre des coûts intéressants en ce qui concerne les cadeaux.»
A L’Hebdo, Pascale Manzini, responsable marketing, est persuadée que ses lecteurs apprécient la plus value mais sous forme éditoriale uniquement. «Notre niveau socioculturel est trop élevé pour que nous nous livrions à cet exercice», estime-t-elle. Quant à Carole Minder, promotion manager pour Edelweiss, elle préfère se concentrer sur les cadeaux à l’abonnement. Enfin, côté suisse alémanique, Maria Alfonso, responsable de la publicité d’Annabelle, explique que les frais de port sont trop élevés pour qu’une opération cadeau soit rentable.
Noémie et Laurence quittent le kiosque où je les ai croisées. La première a reçu un bracelet à l’achat de 16 etc., un magazine auquel elle jette un regard peu enthousiaste. «De toute façon c’est toujours les mêmes recettes pour draguer ou maigrir!». Laurence ne lira pas non plus Chica; seule l’intéresse la trousse de maquillage qui l’accompagne. «Je ne vais tout de même pas me mettre à l’allemand», lâche-t-elle avant d’abandonner le magazine dans une poubelle.
Et le public masculin, n’est-il pas concerné par ces cadeaux? A Moutier, le gérant du kiosque Relay m’apprend qu’une loi cantonale (bernoise) lui interdit la vente de cassettes pornos. Mais là, tout en haut, il tend le bras et saisit un magazine pour hommes. «Vous voyez cette vidéo? C’est un film franchement hard.» Ici, le cadeau permet de détourner la loi.
